dimanche 11 décembre 2011

Quelques souvenirs de 2011

Note : Blogger m'a demandé de retirer les liens MP3 qui figuraient dans cet article. C'est un peu embêtant, mais ça ne doit pas nous enlever notre belle humeur pour autant. Et puisqu'on ne peut rien faire contre Pascal Nègre et ses sbires, j'ai remplacé les mp3 par des liens de streaming vers Youtube, Bancdamp, Soundcloud ou autres. Toutes mes confuses, et bonne écoute tout de même !


Ce blog n'est que la partie émergée de notre activité. Infrasons officie en effet parallèlement comme agence de notation musicale, distribuant les bons et les mauvais points aux artistes et évaluant chaque année leur crédibilité sur les marchés financiers. Apôtres des politiques de rigueur, nous devons lutter inlassablement contre les concepts albums prétentieux, les instrumentations indigestes, les solos interminables et toutes les boursouflures qui écorchent nos tympans.

Lorsque l'on se voit investir d'une telle mission, la sévérité doit s'imposer, y compris vis-à-vis des élèves doués mais par trop insouciants. Ainsi, cette année, nous n'avons pas hésité à sanctionner des artistes certes sympathiques mais qui n'ont pas fournis les efforts nécessaires pour figurer dans notre sélection (Strange Boys, Horrors, Girls,...).

La Grande-Bretagne voit quant à elle sa note souveraine dégradée ; une décision logique puisqu'elle n'a pas tenu compte des multiples avertissements que nous lui avions adressée. L'appauvrissement de la scène musicale anglaise s'est poursuivi et l'écart avec les États-Unis (plus particulièrement la région de San-Francisco) ne cesse de se creuser. Seules des mesures drastiques semblent pouvoir remettre cette nation sur le droit chemin.

Que l'on se rassure, certains éléments montrent encore l'exemple et conservent, en toute justice, leur note A-A-A (Bare Wires, Go ! Team, Liechtenstein, Ty Segall, Tim Cohen, ...), preuve que l'effort, le talent, voire l'audace paient toujours. Rendons hommage donc aux musiciens qui ont su traverser cette année de crise sans dériver de cap. Cet article doit contribuer à les remercier en listant les chansons que nous avons préférées en 2011, comme nous avions pu le faire en 2007, 2008, 2009 et 2010.



Alabama Shakes - I Found You
(extrait de Alabama Shakes / site)
A force d'écouter du Garage, on oublie qu'il y a aussi des gens qui savent chanter, et bien. Bon, évidemment, je force un peu le trait, mais toujours est-il qu'il est rafraîchissant d'aller voir ce qui se fait ces temps-ci en matière de Soul ; notamment chez les fabuleux Alabama Shakes. D'ailleurs, pour faire un bon groupe de Soul, ce n'est pas bien sorcier : on met une grosse mama noire au chant et hop, on tient la formule magique.


Allah-las - Catamaran
(extrait du 45t Catamaran/Long Journey / site)
Les Allah-las doivent autant leur présence ici à leur nom (le plus bête jamais vu depuis les Zyklon Bees) qu'à leur excellente chanson «Catamaran» (sorte de «Roadrunner» du marin). Nul doute qu'une fatwa sera bientôt prononcée contre le groupe chapeauté par Nick Waterhouse et qu'il devra se terrer quelque part en Alaska pour échapper aux vengeurs du Prophète. Heureusement, il nous restera toujours cet excellent disque pour penser à eux.


Bare Wires - Back on the Road
(extrait de Cheap Perfume)
Pacal Nègre nous a parlé longuement de Bare Wires cette année (lire l'article ici). Inutile donc de vous les présenter à nouveau. Retenons simplement que leur nouvel album (Cheap Perfume) est dans la veine du précédent et contient encore quelques morceaux irrésistibles comme «Back in the Road». Ajoutons simplement que, selon une étude Insee, 68% des meilleurs riffs de guitare actuels sont signés Bare Wires (étude réalisée en décembre 2011 sur un panel représentatif de 800 consommateurs).



Black Lips - New Direction
(extrait de Arabia Mountain / site)
Groupe potache s'il en est, les Black Lips ont confié la production de leur dernier album à Mark Ronson, personnage dont on a toujours apprécié le travail ici (Amy Winehouse, Lily Allen, Candie Payne,...). Même si cette association ne semble pas faire l'unanimité, le résultat me paraît assez réussi. C'est en effet rafraîchissant de pouvoir entendre du Garage avec une production sonore soignée. Des morceaux comme «Raw Meat» ou «New Direction» n'en sortent que grandis.


Les Bof ! - Ils vont tuer le R'n'R
(extrait de Nous sommes les Bof ! / site)
Comme leur nom ne l'indique pas, les Bof ! sont Écossais ... mais avec un chanteur marseillais ! Après s'être fait remarqués en 2007 avec un 45t contenant des chansons aussi marrantes que «J'ai perdu mon mojo», ils reviennent cette année avec un album plus Yéyé que jamais. Avec son riff inspiré du «1977» des Clash et son titre revendicateur, «Ils vont tuer le R'n'R» a évidemment attiré notre attention.



Charles Bradley - Stay Away
(extrait de la compilation de reprises de Nirvana Nevermind / site)
Si l'on mange si mal dans les cantines scolaires et dans les restaurants inter-entreprises, c'est peut-être parce que les chefs cuisiniers travaillant dans ces établissements ne sont pas faits pour ce métier. Leur vocation est ailleurs. C'est ce qu'a compris Charles Bradley à 51 ans, après une vie passée derrière les fourneaux ; laissant son tablier, il a décidé de devenir chanteur Soul à plein temps. Avec une voix à la James Brown et accompagné par les musiciens maison du label Daptone, il a estomaqué tout le monde cette année en proposant une reprise Soul d'un morceau de Nirvana. Soyons honnête, l'originale n'était pas notre tasse de thé ; la reprise est le morceau de l'année.


Tim Cohen (Magic Trick) - Daylight Moon
(extrait de The Glad Birth of Love / site)
Je soupçonne depuis un petit moment Tim Cohen de s'être cloné. Comment pourrait-il faire autrement pour sortir autant d'albums chaque année, que ce soit en solo ou avec les Fresh & Onlys. Saluons donc son clone n°06B43 pour son superbe album The Glad Birth of Love. Un numéro de série tellement productif qu'il pousse le vice jusqu'à agréger plusieurs chansons dans le même morceau, comme sur ce «Daylight Moon» qui démarre tout doucement avant de s'échapper dans de magnifiques envolées vaporeuses.



Cults - Bumper
(extrait de Cults / site)
J'ai beaucoup hésité avant d'intégrer les Cults dans la sélection 2011. Premièrement car leur album est très en-deçà des espoirs suscités l'an passé par les premières chansons. Deuxièmement car le morceau «Bumper» n'est qu'un plagiat du «Give Him a Great Big Kiss» des Shangri-las ; et c'est justement là l'aspect délicat : avec une telle chanson pour modèle, la copie est forcément efficace, fût-elle en-deçà de l'originale. Nous serons donc magnanime cette année, eu égard à la jeunesse du groupe. Mais attention : les Cults devront impérativement tenir compte de nos mises en garde à l'avenir, sous peine de se voir décerner un avertissement conduite.


Davila 666 - Esa nuna nenca regreso
(extrait de Tan bajo)
Le côté brouillon des morceaux de Davila 666 a toujours eu tendance à me rebuter. Mais lorsque les Porto-ricains prennent la bête par les cornes et s'astreignent à une vraie discipline, on ne peut que s'incliner devant le résultat. Chœurs entraînants, rythmes martelant, ce «Esa nuna nenca regreso» doit leur servir de boussole pour leurs prochains enregistrements.


Friends - I'm His Girl
Chez Infrasons, on a toujours une grande marmite de goudron chaud saupoudré de plumes. Nous la maintenons à bonne température, prêts à la déverser sur tout ce qui ressemble de près ou de loin à de la Pop des années 80. Et pourtant, Dieu sait si nous aimons ce morceau new-yorkais branchouille, son clip estampillé «Années Reagan» et le groove qui se dégage de l'ensemble. Quelque chose me dit que ces Friends referont parler d'eux très prochainement.


Go ! Team - Ready to Go Steady
(extrait de Rolling Blackouts / site)
A chaque nouvelle sortie d'un disque de Go ! Team, on se frotte les mains. Car on est sûr d'y trouver 4 ou 5 très bons morceaux et ce mélange inimitable de Funk, de son Girl-groups et de Hip-hop. S'il ne s'agit pas de leur meilleur album, Rolling Blackouts ne nous a pas déçu, avec notamment ce charmant «Ready to Go Steady».


Human Eye - Impregnate the Martian Queen, part 2
(extrait de They Came from the Sky)
La claque sonore de l'année ! Evoquant aussi bien Love et que les Stooges, ce «Impregnate the Martian Queen, part 2» semble bel et bien venir d'une planète rouge et volcanique, balayée par des tourbillons de poussière et d'hématite. Le résultat est aussi terrifiant qu'entraînant.


Hunx & his Punkx - Lovers Lane
(extrait de Too Young to Be in Love)
Avec Hunx et ses Punkx, il ne faut pas s'arrêter aux pochettes de disques, d'un goût pour le moins douteux. Car il s'agit avant tout d'un excellent groupe oscillant entre le Glam, la Power Pop et le Rhythm'n'blues, capable d'évoquer les excellents Detroit Cobras sur le morceau «Lovers Lane».


Jacuzzi Boy - Automatic Jail
(extrait de Glazin')
L'excellente surprise de l'année ! Avec Glazin', le groupe de Miami nous offre une myriade de perles Power Pop plus enthousiasmantes les unes que les autres. Difficile de n'en retenir qu'une, mais «Automatic Jail» ressemble tellement à un morceaux des Buzzcocks qu'il aurait été criminel de laisser l'année passer sans vous le faire écouter.


Liechtenstein - Meantime
(extrait du simple Meantime)
Les Suédoises de Liechtenstein sont une valeur sûre. Sobres, appliquées, mais surtout inspirées, elles parviennent toujours à se glisser dans nos sélections annuelles. «Meantime» laisse percevoir un groupe qui se rapproche de plus en plus d'Electrelane et de sa beauté glaciale.


Limiñanas - (I've Got) Trouble in Mind (écoute ici)
(extrait du 45t (I've Got) Trouble in Mind)
Nos Perpignanais préférés nous avaient laissé un excellent souvenir l'an passé avec un album des plus réussis. Leur dernier 45 tours s'inscrit dans la même lignée avec des références de plus en plus marquées au Gainsbourg période «Bonnie and Clyde». L'alternance du chant en français et en anglais participe évidemment à cet effet très Zip ! Shebam ! Pow ! Blop ! Wizz !


Paul Messis - The Problem With Me
(extrait de The Problem With Me / site)
Paul Messis a de la chance : il joue depuis quelques années avec plusieurs des meilleurs musiciens anglais. Autrefois bassiste des excellents Fallen Leaves, il est accompagné depuis quelques temps par d'anciens membres des Embrooks et de Higher State, soit ce qui se fait de mieux de l'autre côté de la Manche en matière de rock 60s. Mais ce n'est pas le tout d'être bien accompagné ; encore faut-il savoir composer de jolies ballades byrdsiennes, pleines de guitares carillonnantes à 12 cordes. Ce que Paul Messis fait à la perfection.


Oh Sees - Carrion Crawler
(extrait de Carrion Crawler/The Dream / site)
Autres représentants de l'inépuisable scène san-franciscaine, les Oh Sees n'avaient encore jamais eu l'honneur de figurer dans une sélection annuelle Infrasons. La faute nous en incombe car ils publient des disques à un rythme presque aussi soutenu que les Fresh & Onlys. Les Oh Sees sont certainement le groupe le plus perché de toute cette scène néo-psychédélique californienne avec une rythmique répétitive, hypnotique, syncopée qui les rend reconnaissables entre mille.


Pendentif - Riviera
(extrait du 45t Pendentif)
Déjà présentés il y a quelques mois sur ce blog (lire l'article ici), les Bordelais de Penedentif nous ont enchanté cette année avec une Pop rafraîchissante et estivale, dans un esprit proche de celui de La Femme. Un regret malgré tout : la fille qui tient le micro sur «Riviera» ne semble pas être la chanteuse principale. Dommage, car le groupe perd largement de son intérêt sur les morceaux chantés par des voix masculines.


Pushy Parents - He's My Saturday (écoute ici)
(extrait du 45t Secret Secret)
Les Pushy Parents ne sont pas un véritable groupe, mais plutôt un projet de studio suédois regroupant la chanteuse des Andersen Tapes et différents pontes de la Pop scandinave (compositeurs, arrangeurs,...). «Secret Secret», la chanson phare, a tout pour devenir un tube phénoménal, mais nous avons plutôt choisi de vous faire écouter «He's My Saturday» et son rythme Northern Soul emmené par une ligne de percussions des plus réussies.


Ty Segall - Goodbye Bread
(extrait de Goodbye Bread / site)
Il y a un an, nous évoquions la ressemblance amusante entre la voix de Ty Segall et celle de John Lennon. Sur le morceau «Goodbye Bread», c'est plutôt avec Alex Chilton et Big Star que nous établirons un rapprochement. Mais trêve de comparaisons, retenons surtout que son dernier album contient plusieurs superbes chansons, davantage à mon sens que sur le précédent ; et que le chien sur la pochette a une bonne tête.


Ana Tijoux - 1977
(extrait de 1977 / site)
«1977» fait figure de curiosité au sein de cette sélection. Ce n'est pas tous les jours en effet qu'Infrasons vous a présenté des rappeuses franco-chiliennes. Mais il faut un début à tout. Avec son instrumentation hispanisante, son rythme tout en arrêts/redémarrages et l'excellente voix d'Ana Tijoux, vous ne pourrez qu'aimer ce morceau.


Triptides - Going Under
(extrait du 45t Going Under / Bandcamp)
Nous fondons énormément d'espoirs sur les Triptides, groupe américain qui marie avec bonheur Pop 60s et Surf. Vous ne trouverez toutefois pas les Triptides sur les plages surchauffées du mois d'août, bondées de touristes et de vendeurs de churros. Vous les verrez plutôt hors saison, sur des côtes désertes, recouvertes d'une brume mélancolique. Le timbre voilé du chanteur nous ferait même penser à celui des Zombies, orfèvres Pop des années 60. A noter que le 45t Going under/Outlaw vient d'être publié par Croque Macadam, nouveau label français qui chapeaute également les recommandables Guillotines et Spadassins.


Vivian Girls - I Heard You Say
(extrait de Share the Joy)
Que l'on ne s'y trompe, Infrasons n'est pas un supporteur inconditionnel des Vivian Girls. Malgré toute la sympathie que peuvent susciter ces trois louloutes cherchant à mêler le son des Shangri-las et des Jesus & Mary Chain, leurs enregistrements nous paraissent encore perfectibles. Toutefois, bâtis autour de mélodies ambitieuses et de chœurs travaillés, certains morceaux nous obligent à déposer les armes et à reconnaître leur talent, à l'instar de ce «I Heard You Say», chant de noël parfait pour ces périodes hivernales.


Nick Waterhouse - Is That Clear
(extrait du 45t Is That Clear / site)
Nick Waterhouse est l'un des personnages les plus étonnants du moment. Alors que tous ses amis san-franciscains semblent obsédés par le Garage psychédélique des années 60, Nick a choisi d'aller plus loin et de voyager dans la décennie précédente. Costume impeccable, lunettes à gros montant : Nick a tout d'un Buddy Holly moderne. Ses enregistrements ne sont pas en reste puisqu'ils évoquent un Eddie Cochran jouant avec les Sonics. Une vraie curiosité.


Wax Idols - All Too Human
(extrait du 45t All Too Human/William Says / site)
Encore un groupe de San Francisco, un de plus ! Rien ne sert de lutter, c'est bien là-bas que tout se passe. Mais aussi foisonnante soit-elle, la scène locale reste un petit monde puisque la chanteuse du groupe a auparavant joué avec les sus-cités Bare Wires et Hunx et ses Punkx. Au-delà de ses influences Garage, Wax idols dégage un parfum gothique et légèrement New Wave qui n'est pas sans évoquer Siouxsie et les Banshees.


White Fence - A Pearl Is Not A Diamond
(extrait de Is Growing Faith)
Déjà encensé ici l'an passé, White Fence nous a encore offert l'un des meilleurs albums de l'année (Is Growing Faith), toujours avec ce son bricolé, usé mais charmant. La ballade psychédélique «A Pearl Is Not A Diamond» est à ce titre la mieux produite des chansons figurant sur l'album ; l'une des plus jolies également. Et puis, un morceau sur les perles ne pouvait pas passer inaperçu sur un blog ayant pour slogan «Quelques perles sous un océan agité» !


Bonus 2010

La Femme - Sur la planche
(extrait du maxi Le Podium#1 / Bandcamp)
En guise de conclusion, rappelons que le meilleur morceau de l'année est en réalité une chanson sortie ... en toute fin d'année dernière ! Alors oui, c'est vrai, je triche un peu, mais tous les prétextes sont bons pour réécouter «Sur la planche» et son Surf irrésistible. Je vous renvoie à l'article écrit sur le groupe en janvier (en cliquant ici).

lundi 14 novembre 2011

Aislers Set


Lorsque Infrasons fut créé, il y a quatre ans, il était évident que le Aislers Set serait parmi les premiers groupes à être chroniqués. Différé de mois en mois, l'article n'est toutefois jamais paru.

Ce ne sont ni l'envie ni le temps qui nous ont manqué pour vous en parler, mais la peur de mal faire. Car le Aislers Set doit être abordé avec respect, déférence et humilité ; quelques lignes écrites à la va-vite ne sauraient rendre compte de la qualité du groupe. Nous parlons en effet d'une formation qui, de 1997 à 2003, pouvait s'arroger le titre de meilleur groupe du monde et réussissait à mettre K.O. tous ses adversaires, y compris les plus talentueux.

Commençons par les détails généalogiques. Originaire de San Francisco, le Aislers Set fut fondé et emmené par Amy Linton, ex-chanteuse de Henry's Dress (groupe dont elle partageait la tête avec Matt Hartman, personnage que l'on retrouva par la suite chez les excellents How et Sic Alps). Avec le recul, il est amusant de constater que ce groupe a préfiguré toute la scène san-franciscaine qui nous enchante depuis deux ou trois ans (Bare Wires, Oh Sees, Ty Segall, Fresh & Onlys,...), preuve que les meilleurs groupes germent souvent sur les terreaux les plus fertiles.

La force du Aislers Set est de parvenir à recréer avec brio le son des Girl Groups 60s et des productions de Phil Spector tout en en gommant les boursoufflures et les aspects les plus indigestes. Chaque morceau révèle un heureux arrangement de clochettes, de xylophones et de claquements de main, d'où s'échappe la voix cerclée d'échos d'Amy Linton. Le groupe parvient toutefois à se défaire du simple pastiche rétro en insufflant à sa musique de légères tensions et saturations évoquant les Jesus & Mary Chain.

Le Aislers Set sait surtout surprendre son auditeur grâce à des ruptures délicates de clefs ou d'accords, souvent soulignées par l'apparition de nouveaux instruments (la trompette notamment), permettant aux morceaux de prendre leur envol et de se déployer, couplet après couplet. Le génie du groupe tient également à son utilisation du silence, savamment dosé, qui souligne les mélodies et insuffle une intensité décuplée aux chansons. On ne le dit pas assez, mais le silence est parfois le plus bel instrument.

How I Learned to Write Backwards, troisième est dernier album du groupe apparaît comme l'aboutissement de cette production léchée, élégante et empreinte de mélancolie. Ces deux extraits, qui siéent parfaitement à l'ambiance automnale du moment, devraient suffire à vous en convaincre.

Aislers Set - Catherine Says (2003)
Aislers Set - Melody Not Malaise (2003)
(extraits de How I Learned to Write Backwards sorti chez Slumberland)

La discographie du Aislers Set recèle également quelques morceaux plus «bubble-gums». Les Ramones n'auraient pas renié par exemple l'enjoué «My Boyfriend (Could Be A Spanish Man)» qui figure sur le premier album.

Aislers Set - My Boyfriend (Could Be A Spanish Man) (1998)
(extrait de Terrible Things Happen sorti chez Slumberland)

En dehors des trois albums, le groupe s'est également amusé à sortir des 45 tours imitant à la perfection la production des années 60. Le résultat est proprement stupéfiant, un morceau comme «Hey Lover» semblant avoir été interprété par les Shangri-las.

Aislers Set - Hey Lover (2000)
(extrait d'un 45 tours partagé avec les excellents How)

Pour conclure, je vous invite à vous rendre sur le site du groupe ainsi que sur celui de leur label (Slumberland Records) ; tous deux proposent un grand nombre de MP3 à écouter et télécharger, chose des plus appréciables pour un groupe aussi doué que le Aislers Set.

mardi 18 octobre 2011

Gloria Walker

Autant l'avouer tout de suite : Infrasons ne vous en apprendra pas beaucoup sur Gloria Walker, les informations concernant la chanteuse étant des plus rares.

Originaire de Milledgeville, ancienne capitale de Géorgie et cité dans laquelle mourut le bluesman Blind Willie McTell, Gloria Walker enregistra trois 45 tours pour la maison Flaming Arrow à la fin des années 60.

Mama noire dont le physique et la voix en feraient une digne mère de Sharon Jones, Gloria Walker parvint à enregistrer l'un des morceaux soul les plus poignants des années 60 : «Walking with My New Love», sommet de simplicité et de maîtrise, dialogue passionné entre une section de cuivres qui s'époumone en boucle et la voix puissante et tranquille de la chanteuse, le tout ponctué par les glissades fulgurantes de la guitare.

Prévoyant que ce morceau aiguisera les appétits, je mets également en écoute l'excellent «Please Don't Desert Me Baby», enregistré la même année.

Gloria Walker enregistra encore trois 45 tours aux sonorités plus funk pour le compte du label Federal avant de disparaître de la circulation. A notre grand dam.


mardi 27 septembre 2011

Pascal Nègre parle de Bare Wires

PDG d'Universal Music France, président de l'influente Société Civile des Producteurs Phonographiques, mais surtout ami de longue date, Pascal Nègre nous a gentiment adressé une lettre, nous priant de bien vouloir la diffuser aux lecteurs d'Infrasons.

C'est avec joie que nous en divulguons aujourd'hui le contenu, profitant de l'occasion pour transmettre nos amitiés à Pascal ainsi qu'à Ouafou, le fidèle labrador qui lui permet de mener une vie normale malgré ses problèmes d'audition. Profitez pleinement de vos vacances à Saint-Paul-de-Vence et revenez-nous aussi frais et joviaux qu'à l'habitude !

«Cher Infrason, si je prends aujourd'hui ma plus belle plume, c'est pour mettre en garde tes lecteurs contre un groupe nommé Bare Wires. Je dois en effet l'avouer : un certain nombre d'éléments m'indisposent, pour ne pas dire m'inquiètent, chez ce trio.»

«Je suis tout d'abord scandalisé par l'anarchie capillaire dont font montre ces jeunes gens. À quel jeu jouent-ils ? À celui qui aura la coiffure la plus tombante ? La rouflaquette la plus touffue ? Une chose est sûre : je refuse de me voir infliger plus longtemps ces espèces de Ramones à moustache. Leur place est au zoo.»

«Certes, ce genre de considérations esthétiques peut vous paraître accessoire, mais c'est bien mal me connaître. J'ai toujours prôné l'harmonie et l'élégance, cherchant constamment à distiller une subtilité délicate dans les productions d'Universal Music, qu'il s'agisse de Bon Jovi ou de Zebda. Aussi suis-je particulièrement mal à l'aise devant cette flagrante absence de goût affichée par Bare Wires.»

«Passons le reste de l'accoutrement, par simple charité chrétienne, et intéressons-nous aux visuels proposés par le groupe. Je pense évidemment à la pochette de Seeking Love, leur deuxième album, certainement la chose la plus dégoulinement rose qu'il m'ait été donné de voir. Une pochette rose ? C'est absurde. De Figaro Madame à Cosmopolitan en passant par Elle, tout le monde s'accorde : cette couleur sera à bannir la prochaine saison. Cet hiver, il nous faudra plutôt miser sur des camaïeux grenats ou caramels que l'on associera hardiment au bleu de Prusse ou au vert mélèze. Mais du rose ! Ces Bare Wires ne peuvent-ils pas être sérieux cinq minutes ? C'est à croire que non.»

«Dernière chose qui me tracasse : Bare Wires n'est finalement qu'un énième groupe provenant de San Francisco. Je n'ai rien contre cette ville, mais c'est un véritable matraquage que l'on nous impose : Ty Segall, Oh Sees, Fresh & Onlys, White Fence, Sonny et les Sunsets, ... , il n'est plus possible d'aller où que ce soit sans entendre l'un de ces groupes. Pour quelqu'un qui, comme moi, croit aux bienfaits de la diversité musicale, cette situation est quelque peu gênante. Misons au contraire sur des artistes issus d'horizons différents, et notamment sur la scène francophone : Michel Sardou, Hélène Segara, Amaury Vassili, Mylène Farmer : autant d'artistes que je continuerai à défendre vaille que vaille chez Universal Music.»

«En espérant que les lecteurs d'Infrasons puissent entendre mon appel, je salue à nouveau la qualité de ce blog qui défend avec brio les valeurs défendues par Universal Music et par la Société Civile des Producteurs Phonographiques.»
«Amicalement,
Pascal Nègre.
»

Note biographique : sur sa page Wikipédia, il est précisé que Pascal Nègre «a découvert les artistes Khaled, Zebda et No One Is Innocent», qu'il est «l'interlocuteur privilégié de Mylène Farmer, Michel Ponareff, Michel Sardou, Lara Fabian, Marc Lavoine et Bernard Lavilliers», qu'il «supervise pour le territoire français les carrières de U2, Eminem, Sting, Lionel Richie, Melody Gardot, Lady Gaga, Black Eyed Peas». Pascal Nègre est Officier des Arts et des Lettres et Chevalier de la Légion d'Honneur.

Bravo Pascal, tes combats t'honorent.

Bare Wires - Dancing on a Dime (2010)
(extrait de Seeking Love)
Bare Wires - Don't Ever Change (2011)
(extrait du simple Don't Ever Change/Ready to Go)
Bare Wires - Wanna Fight (2011)
(extrait de la compilation Group Flex de Castle Face Records )




mardi 30 août 2011

Dandy Livingstone

En 1979, les Specials affolent les Îles Britanniques avec leur détonant croisement de Ska jamaïcain et de Pop anglaise. Le public s'enthousiasme pour ce groupe qui arbore fièrement des motifs à damiers noirs et blancs, symbole de son caractère pluri-ethnique. Entre autres succès, la formation atteint la 10e place des ventes en reprenant un morceau de Dandy Livingstone : «Rudy, a Message to You».

L'interprétation est excellente, le succès est mérité. Cette reprise a toutefois un tort : elle occulte quasiment la version originale ; or, quiconque a pu l'écouter en est convaincu : elle surpasse mille fois la reprise des Specials.

On aurait tort malgré tout de considérer «Rudy, a Message to You» comme LE chef-d'oeuvre de la musique jamaïcaine. Tort car il s'agit d'un morceau britannique, son interprète ayant émigré à 15 ans en Angleterre et ayant effectué toute sa carrière artistique (comme chanteur ou producteur) dans la perfide Albion. Tort aussi car cette chanson dépasse les frontières du rocksteady, du bluebeat, du ska, du reggae ou de tout ce que l'on qualifie habituellement de musique jamaïcaine. Merveille parmi les merveilles, le morceau de Dandy Livingstone s'élève jusqu'à la perfection Pop frisant au passage la voute céleste de la Soul. Bref, elle fait partie des plus belles chansons écrites ces 5 758 dernières années.

Tout n'est qu'excellence : le rythme tout d'abord, entêtant, accrocheur et adouci par la voix de Dandy Livingstone, d'une beauté ahurissante. Mais déjà est-on conquis par le morceau que surgit le solo, sommet du genre, enchevêtrement magistral de cuivres qui se répondent et s'enlacent avec un brio époustouflant (le célèbre tromboniste Rico Rodriguez participe à l'enregistrement et accompagnera les Specials dix ans plus tard lorsqu'ils reprendront le morceau). Rien à dire, nul n'a fait mieux.

Un dernier mot sur les paroles de la chanson. «Rudy» ne désigne pas un prénom mais est un diminutif de «Rude Boy», argot jamaïcain que l'on traduirait aujourd'hui par «Racaille» ou «Mauvais garçon». Dandy Livingstone envoie donc en 1967 un appel aux gangs qui plongent le pays dans la violence depuis son indépendance (en 1962). «Arrête de filer un mauvais coton, ou tu finiras en prison», c'est en substance le sens de la chanson.


dimanche 10 juillet 2011

Le Kid et les Marinellis


Dans la course effrénée à laquelle se livrent les blogs musicaux pour élargir leur audience et renforcer leur part de marché, Infrasons a été battu (oui avouons-le) il y a quelques semaines par l'un de ses concurrents les plus dangereux : Requiem pour un twister. Plus vif et plus réactif, ce site nous a devancé en publiant un article sur le Kid et les Marinellis, groupe que nous brûlions de vous présenter.

Fort heureusement, il y a longtemps que nous ne nous embarrassons plus du moindre scrupule sur Infrasons. Et dans ce monde de requins, nous n'hésitons pas une seconde à voler un sujet à l'un de nos concurrents, aussi respectable soit-il. C'est à ce genre de bassesse que nous allons nous livrer aujourd'hui.

Hébergeant un ancien membre des Breastfeeders (formation qui a su se bâtir une petite réputation de l'autre côté de l'Atlantique), le Kid et les Marinellis nous permettent surtout d'évoquer l'excellence de la scène québécoise, scène largement francophone qui ne souffre d'aucun complexe face à sa voisine américaine. Si nos médias hexagonaux ne snobent pas systématiquement la production musicale de la Belle Province, ils gagneraient à piocher dans son vivier rock'n'roll plutôt que dans ses «chanteuses à voix» (Céline D. et consorts).

Extrait du premier simple du groupe, la chanson «Camille» est emmenée par une ligne de sitar évoquant les 5 Gentlemen (excellent groupe français des années 60) et ponctuée de cris déchirants qui semblent avoir été empruntés au fameux «You're Gonna Miss Me» des 13th Floor Elevators. Les plus érudits d'entre vous en déduiront le caractère sauvage et psychédélique de la chanson ; ils auront raison et seront enchantés par le morceau.

(extrait du 45t Le Kid et les Marinellis)

samedi 18 juin 2011

Un peu de Northern Soul...


Le récent article sur les Mods m'a donné envie de vous parler plus longuement de la Northern Soul, puisqu'il s'agit d'une des composantes essentielles de ce mouvement.

Commençons par une mise au point qui devrait vous permettre de briller dans les dîners mondains et de gagner une encyclopédie à Questions pour un Champion. Aussi étrange que cela puisse paraître, la Northern Soul n'est pas l'opposé exact de la Southern Soul.

Voilà qui mérite une explication : le terme Southern Soul désigne un style musical typique du sud des États-Unis (représenté par des garçons comme Ray Charles ou Otis Redding) ; il s'agit d'une musique sauvage et moite portant encore le parfum des champs de coton et des alligators du Mississippi (j'aime faire appel aux vieux clichés, ce doit être mon côté paresseux). De son côté, la Northern Soul ne désigne pas forcément la Soul du nord des États-Unis mais les morceaux (souvent américains) diffusés en boucle au tournant des années 1960-70 dans des clubs en vogue au nord de l'Angleterre (d'où l'appellation «Northern»)

Tout cela nous amène à une nouvelle explication (qui devrait au moins vous permettre de gagner un camembert au Trivial Pursuit). A partir de 1967, une partie de la jeunesse anglaise reste hermétique aux nouveaux mouvements musicaux qui transfigurent la Pop et la Soul (psychédélisme, retour du blues, funk,...) et regrette le son «Mod», plus frais et plus rythmé. Ces jeunes gens se retrouvent donc le week-end pour danser dans des clubs (très populaires dans le nord de l'Angleterre) passant des anciens morceaux Motown et toutes sortes de raretés Soul, Ska ou Rythm'n'Blues. Ainsi naquit l'appellation Northern Soul.


La Northern Soul se définit donc avant tout comme une Soul dansante. Elle doit être rythmée (parfois jusqu'à la syncope, comme le «Tainted Love» de Gloria Jones), urbaine, élégante et correctement produite. D'une certaine façon, il s'agit du versant Pop de la Soul. Outre le rythme, les choeurs occupent souvent une place primordiale avec un jeu de «Call and response» hérité du gospel (une voix aigüe répétant ou répondant aux paroles du chanteur).

On ne parlera donc pas d'artistes Northern Soul mais plutôt de morceaux Northern Soul, puisque n'importe quelle chanson répondant aux critères mentionnés ci-dessus pouvait se trouver adoptée par le public Northern Soul, même si son interprète versait habituellement dans un style différent.

Vous avez déjà pu entendre un peu de Northern Soul ci et là sur Infrasons (Barbara Randolph, Gloria Jones, Alan Brown Set, Edwyn Collins), mais il était temps qu'un article soit spécifiquement consacré au sujet. Passons donc en revue quelques uns de nos titres favoris.


Martha Reeves et les Vandellas

Commençons par un classique du genre. Groupe phare de la maison de disques Motown, les Vandellas personnifient à l'envi le son Northern Soul avec leur rythme entraînant, leur tambourins sautillant et leurs voix en entrelacs. Reprise par plusieurs groupe Mods, «Heatwave» est évidemment l'une des plus grandes chansons de tous les temps.


Martha Reeves et les Vandellas - Heat Wave (1963)


Les Flirtations

Les Flirtations étaient trois grandes gigues qui aimaient se promener en robe de chambre rouge dans des abbayes médiévales en ruine (du moins si l'on en juge par leurs vidéo-clips). Cela mis à part, leur «Nothing but a Heartache» est le meilleur Aspirine que je connaisse.




Flirtations - Nothing but a Heartache (1968)


Les Four Tops

La Northern Soul n'est pas qu'un truc de filles. Autres poulains de l'écurie Motown, les Four Tops avaient trouvé la recette magique pour faire danser les blancs, les noirs, les garçons, les filles et tous les autres.






Four Tops - It's the Same Old Song (1965)


Les Poppies

La Northern Soul regroupe aussi bien des classiques Motown que de véritables raretés, telles les Poppies. C'est là tout le mérite des DJs qui officiaient dans les soirées Mods anglaises : saluons leur capacité à dénicher des perles inconnues ou oubliées de tous.



Poppies - There's a Pain in My Heart (1966)


Gigi et les Charmaines

Des compositions dignes des Vandellas, des voix capables de rivaliser avec les Supremes, une instrumentation proche des morceaux Motown,... : à vrai dire, je ne comprends pas pourquoi ce groupe n'a pas rencontré le succès auquel il pouvait prétendre. Encore une injustice à réparer.



Gigi et les Charmaines - Girl Crazy (1966)
Gigi et les Charmaines - Poor Unfortunate Me (1967)


Candy et les Kisses

Filles de pasteur, le groupe commence sa carrière sous le nom des Symphonettes avant d'opter pour un nom encore plus mièvre. Mais ne nous y fions pas : ces filles sont des tueuses et leur «81» possède le rythme absolu !





Candy et les Kisses - The 81 (1964)


Le Frank Popp Ensemble

La Northern Soul ne se cantonne pas qu'à l'Amérique et aux années 1960. Les Allemands du Frank Popp Ensemble prouvent ainsi que Düsseldorf peut être aussi explosive que Détroit avec cet hymne rétro des plus réussis. Et retenez bien : les ados dans le coup ne portent pas de jeans !




Frank Popp Ensemble - Hip Teens Don't Wear Blue Jeans (2001)


Et aussi :
la Northern Soul est une source intarissable de joyaux. J'aurais ainsi pu vous parler des Sapphires, de Jimmy James, Johnny Moore, des Peter's Faces, des Soul Survivors, d'Edwin Stars, de R. Dean Taylor, Frank Wilson, Chris Clark, Lorraine Silver, des Marvelettes ou Barbara McNair. Mais il y aura bien d'autres occasions.

mardi 7 juin 2011

Girls


En 2-3 ans, San Francisco a engendré une myriade de groupes plus talentueux les uns que les autres (Fresh & Onlys, Oh Sees, White Fence...). La logique voudrait que l'on soit maintenant blasé et que l'on fasse la fine bouche vis-à-vis des albums produits sur les rives californiennes. C'est pourtant chose impossible : il va encore falloir nous soumettre et rendre les armes devant un groupe san-franciscain. Les coupables s'appellent Girls, formation prodigieuse qui, avec son maxi Broken Dreams Club (sûrement une association rivale du Lonely Hearts Club des Beatles), nous offre le disque Pop le plus enthousiasmant depuis Little Joy (sorti en 2008).

Avec une production riche et chaleureuse, parsemée de cuivres, une voix «elvis-costellienne» et des mélodies délicatement traînantes proches du Big Star de la grande époque, ces Girls ne peuvent qu'épater.

Girls - Broken Dreams Club (2010)
Girls - Substance (2010)
(extraits de Broken Dreams Club)
Girls - Laura (2009)
(extrait de Album)


lundi 25 avril 2011

Les Mods : vérités et contre-vérités

Infrasons s'attaque aujourd'hui au mythe le plus intouchable de la culture rock - les Mods - avec toute son objectivité habituelle.

Commençons par un rappel historique. La culture Mod est un phénomène quasi-strictement anglais apparu à la fin des années 50 et qui concernait, initialement, une poignée de jeunes gens passionnés de musique noire américaine et, plus précisément, de jazz ou de rhythm'n'blues (avant de se convertir à la Soul dansante et au Beat jamaïcain). Au-delà de la stricte dimension musicale, ces Mods s'étaient fixés un principe de vie : être à tout prix modernes, élégants, urbains et dynamiques (ce que le manager des Who - Peter Meaden - résuma par cette maxime : «Clean living under difficult circumstances»).

Ces avant-gardistes (le terme «Mod» étant une abréviation de «Moderniste») adoptèrent des codes et des accessoires qui, très vite, devinrent leurs signes de reconnaissance : scooters Vespa ou Lambretta, coiffures «à la française» et tenue vestimentaire travaillée (costumes sur-mesure, chemises Ben Sherman,...) ; car c'est là un point essentiel : un vrai Mod est tenu d'avoir la même passion pour sa garde-robe que pour les enregistrements de James Brown.


Au début des années 60, le succès des Beatles et des Rolling Stones éveilla la curiosité des jeunes Anglais pour le rhythm'n'blues. Les rangs des Mods se trouvèrent brusquement élargis et cette sous-culture se vit érigée en phénomène de société. Or, la Grande-Bretagne a toujours aimé diviser sa jeunesse en «clans» rivaux (punks, skinhead, suedeheads, teddy boys,...) ; il fallut donc trouver un ennemi aux Mods : ce furent les rockeurs.

Tout opposait en apparence les Mods et les rockeurs : scooters contre motos, élégance urbaine contre graisse de moteur, danses rythmées contre équipées sauvages, costumes ajustés contre cuirs poussiéreux. Alors l'inévitable arriva : la guerre fut déclarée à l'été 1964 et Mods et rockeurs s'affrontèrent sur les plages de Brighton dans des rixes qui affolaient la presse anglaise.

Pour une autre raison, les années 1964-1965 furent charnière pour les Mods. En effet, alors qu'ils se focalisaient jusque-là essentiellement sur la musique noire américaine, la plupart des Mods se tournèrent vers de jeunes groupes anglais qui électrisaient et révolutionnaient la production musicale (Who, Small Faces, Creation). Ce fut un vrai tournant puisque, pour la première fois, des formations à succès se réclamaient de la culture Mod, offrant au mouvement de nouveaux porte-étendards et conférant à ce courant un caractère purement anglais (comme le prouvent les vêtements des Who taillés dans des drapeaux britanniques ou la fameuse cocarde bleu-blanc-rouge qu'arborent encore aujourd'hui les Mods). De façon assez curieuse, on pouvait désormais être Mod en n'écoutant que des groupes de rock anglais et en ne connaissant rien à la musique noire américaine.


Le phénomène Mod s'estompa avec l'arrivée du courant psychédélique de 1967 avant de resurgir 10 ans plus tard lorsque sortit le film Quadrophenia (adapté d'un concept-album des Who racontant l'histoire d'un jeune Mod) et que triomphaient des groupes estampillés «néo-Mods» (tels les Jam ou Secret Affair).


La qualité affichée par certains groupes néo-Mods (les Prisoners ou les Television Personalities) a renforcé l'attrait et la fascination exercée par ce courant. A tel point que les Mods semblent être la seule sous-culture rock «intouchable» (les hippies étant moqués, les punks méprisés, les blousons noirs ringardisés et je vous épargne les gothiques new-wave et les hardeux). Elégants, modernes, talentueux, inventifs et multiculturels : les Mods ont tout pour eux !

Mais, chez Infrasons, un tel consensus suscite la méfiance. Adossés à la scientificité qui fait notre réputation, nous allons tenter de déconstruire cette «légende dorée» pour en extraire le vrai de l'exagération.



- LA CULTURE MOD EN QUESTIONS -
(un grand dossier Infrasons)


Question n°1 : les groupes Mods étaient-ils si talentueux ?
Réponse : OUI


Oui oui oui et cent fois oui ! Entre 1964 et 1967, les groupes Mods ont créé l'un des genres musicaux les plus aboutis de l'Histoire (souvent appelé le Freakbeat). Explosifs, enthousiasmants, parsemés d'effets sonores audacieux, leurs enregistrements subjuguent toujours par leur qualité et leur fougue. Birds, Action, Alan Brown Set, Mockingbirds, Sands, John's Children, Beatstalkers,... : même les groupes dits de seconde division avaient avaient ce je-ne-sais-quoi de grandiose.



Question n°2 : les groupes Mods avaient-ils la classe ?
Réponse : NON

S'il est bien une vérité à rétablir, c'est celle-ci : la plupart des groupes Mods étaient vêtus comme des sacs. Et c'est bien là un paradoxe ; car si les Mods étaient obnibulés par leur apparence et par leur accoutrement, les groupes musicaux censés les représenter faisaient souvent montre des goûts vestimentaires les plus approximatifs.

Si les Who s'en tirent, somme toute, plutôt bien avec leurs tenues taillées dans le drapeau britannique, l'accoutrement des autres formations prête franchement à sourire. Quelques images pour illustrer ces propos :

Coiffures oscillant entre la nuquette et la choucroute, vestes trop larges et pantalons de pyjama : les Creation étaient aussi mal accoutrés que talentueux




Si les Small Faces n'avaient pas choisi d'avoir des têtes de hobbits, ils avaient en revanche délibérément choisi de porter des chemises à jabot, des cols pelle à tarte et de ressembler à une troupe de cirque



Et puisque Infrasons aime pousser la provocation jusqu'à ses limites les plus folles, n'ayons pas peur de clamer cette vérité, certes brutale : les rockeurs avaient au moins autant de style que les Mods. Il suffit, pour s'en convaincre, de jeter un oeil à leurs montures respectives ; qui oseraient comparer les Norton, BSA, Triumph et autres motos de grande classe utilisées par les rockeurs anglais aux agaçants scooters Mods qui, aujourd'hui encore, enragent les automobilistes de toutes les métropoles ? Et, avouons-le, un blouson en cuir sera toujours plus racé qu'un costume, fût-il taillé sur mesure et dans un tissu en mohair.

Ennemis jurés des Mods, les «rockeurs» affichaient pourtant une classe indéniable




Question n°3 : les Mods étaient-ils des gosses de riches ?
Réponse : NON

Dans la France des années 2010, un adolescent qui se pavane en costume, en veste croisée ou avec une cravate à double-nœud est immédiatement associé au XVIe arrondissement de Paris. Dans le Londres des années 60, cette logique n'a aucun sens. Le courant Mod, et c'est tout à son honneur, est un des rares mouvements de jeunesse dans lequel l'objectif n'est pas de se soustraire aux codes de l'élégance imposés par la bourgeoisie mais, au contraire, de les surpasser. Imaginez des jeunes des cités qui porteraient le monocle, le chapeau melon et le noeud papillon au pied de leur HLM. C'est cela l'esprit Mod : narguer le bourgeois en lui hurlant à la face : «Je suis un moins-que-rien, mais je suis plus classe que toi».

Les Mods ont souvent été associés à la jeunesse dorée dans la mesure où ils portaient des tenues coûteuses et où ils s'opposaient à des rockeurs censés représenter la caste prolétaire et rebelle. Le contingent Mod recrutait pourtant très largement dans les classes moyennes et ouvrières. Sa caractéristique sociale tient plutôt à son caractère urbain, les Mods provenant avant tout des grandes villes.



Question n°4 : devenir Mod, était-ce rejoindre un clan et adopter un état d'esprit ?Réponse : NON

L'Histoire a souvent tendance à glorifier et simplifier le phénomène Mod. Elle propose ainsi souvent une vision schématique et binaire de la jeunesse anglaise partagée entre rockeurs et Mods, chaque clan semblant régi par des codes et des symboles bien distincts.

La vérité était évidemment plus complexe ; il n'y avait pas de frontière aussi tranchée entre les Mods et les non-Mods. D'une certaine façon, dans la jeunesse anglaise des années 60, tout le monde était Mod, et personne ne l'était entièrement. Pourquoi ? Car l'esprit Mod correspondait aux aspirations d'une génération toute entière qui, contrairement aux précédentes, n'avait jamais connu la guerre. N'ayant connu que des temps insouciants, elle mourait d'envie de consommer (des disques, des vêtements,...), de s'amuser (notamment en dansant) et d'affirmer sa liberté vis-à-vis des parents (en adoptant une musique révolutionnaire et une apparence vestimentaire ostentatoire).

D'un strict point de vue musical, la quasi-totalité de la Pop anglaise pouvait être apparentée au son «Mod» dans le sens où elle s'inspirait du rhythm'n'blues américain tout en lui conférant un aspect dansant et entraînant. Beatles et Rolling Stones sont ainsi en 1964-66 très proches des groupes catalogués comme «Mod» (notamment les Who). John Lennon lui-même affirmait dans une interview que, à leurs débuts, les Beatles étaient un groupe Mod (non sans une pointe de condescendance d'ailleurs pour le mouvement).

Pour autant, personne n'était 100% Mod non plus, car l'esprit Mod était un idéal des plus abstraits et des plus flous. Les Mods ne formaient pas un clan homogène ; ils se divisaient en sous-groupes qui se dénigraient les uns les autres en se considérant comme plus «durs» ou plus «puristes». Un monde existait ainsi entre les vrais puristes (amateurs de jazz méprisant les Who, les Kinks, les Small Faces et toute la soi-disante scène Mod anglaise), les petites frappes pour qui le mouvement Mod servait surtout de prétexte pour jouer les lascars et se castagner avec les rockeurs, les minets qui cherchaient les tenues les plus extravagantes pour séduire les filles de leur quartier, les fans de scooter et le troupeau de suivistes qui avait surtout envie de s'amuser et de danser avec les autres. Dix ans plus tard, les néo-Mods formaient également une nuée hétéroclite oscillant entre amateurs de Soul, amateurs de Ska et fans des Jam ou des Who qui ne connaissaient rien à la musique noire. Telle était la réalité du mouvement Mod.



Question n°5 : l'esprit Mod est-il perpétué par les «néo-Mods» ?
Réponse : OUI et NON

Dès que le courant Mod passa de mode, en 1967, des passionnés s'évertuèrent à maintenir la flamme. Des clubs du Nord de l'Angleterre (à Manchester notamment) se rendirent célèbres à cette époque en organisant de grandes fêtes placées sous le signe du Ska et de la Soul (le fameux son «Northern Soul»). Le phénomène amplifia en 1977-79 avec la vague néo-Mod. Aujourd'hui encore, la scène dite Mod continue à être importante et à faire des émules chez les jeunes générations.

Pourtant, il y a là quelque chose de paradoxal. Comment peut-on adopter une attitude rétro et nostalgique vis-à-vis d'un mouvement qui prônait le modernisme à tout prix ? D'un point de vue strictement logique, on ne peut pas être «néo-Mod» et chercher à faire revivre les années 60. À moins que la vraie avant-garde ne soit justement de reconnaître la supériorité de la musique des années 60 sur celle d'aujourd'hui ; voilà un mode de pensée qui, pour le coup, serait réellement révolutionnaire et moderniste, donc Mod.

Alan Brown Set - Emergency 999 (1966)

Modement vôtre.