lundi 14 juillet 2008

Les Television Personalities (et leurs satellites)

Lors d'un article sur la série Le Prisonnier, j'avais promis de vous parler un jour des Television Personalities, l'un des groupes les plus intéressants du tournant 1970-80. Chose promise, chose due.

Éternels perdants, méprisés par les journalistes, les Television Personalities ont pourtant réussi un sacré tour de force : rendre poignantes et intelligentes des chansons enregistrées, on le sent, avec trois bouts de ficelles.

Influencés à la fois par la pop psychédélique des premiers Pink Floyd, le folk allumé de Syd Barrett et le son mod des Creation ou des Who, les Television Personalities possédaient une dernière corde dans leur arc sixtise : le talent de parolier de Dan Treacy, anglais jusqu'au bout des ongles et digne héritier des
Kinks.

En effet, et on pourra s'en rendre compte au fur et à mesure de cet article, les morceaux écrits par ce groupe tracent une sorte de symétrie avec les chansons jouées 10 années auparavant par Ray Davies. On y retrouve cette observation amusée des moeurs contemporaines, mais également cette frustration sociale, teintée d'un je-ne-sais-quoi de nostalgie.

Pour le reste, le son des Television Personalities pourrait se définir comme du psychédélisme de cuisine, c'est-à-dire une pop influencée par la glorieuse production 60s mais avec une patine légèrement étouffée qui semble rappeler le manque de moyens du groupe ; un style non dénié de charme malgré tout.



Petit retour en arrière sur les débuts des Television Personalities ainsi que sur les autres formations dans lesquelles les membres du groupe gravitaient :

1977 : c'est la déferlante punk. Enthousiasmés, deux élèves du lycée catholique de Fulham décident de monter un groupe. Ils ne savent pas jouer ? Qu'à cela ne tienne, ils apprendront sur le tas. Ils se nomment Dan Treacy et Ed Ball, s'ennuient ferme dans leur cité HLM de King's road et comptent bien en faire le sujet de leur premier enregistrement, «14th floor» :
«Je surplombe Londres mais je n'y vois pas grand chose, parce que j'habite tellement haut que tout me paraît minuscule. Je suis énervé car l'ascenseur est encore en panne et, chaque fois que je rentre du boulot, j'ai 14 étages à me taper [...] Le 14e étage : c'est juste un numéro de HLM. Le 14e étage : il n'y a rien à faire ici. Le 14e étage : ça fait 7 ans que j'y vis là mais j'y connais toujours personne. Je crois bien que le mec à côté est Jamaïcain».

Ces paroles ressemblent étonnamment à celles qui fleuriront, 20 ans plus tard et presque systématiquement, dans le hip-hop français. A la différence près qu'elles sont chantées ici avec un détachement amusé et tout britannique, presque d'une façon enjouée et enfantine. Et puisque je vous disais que les chansons du groupe étaient des réponses aux morceaux des Kinks, j'affirme que celle-ci est le «Dead-end street» des Television personalities.

Le disque, ou la démo ai-je envie de dire au vu de sa qualité, est envoyé à John Peel, l'inoubliable animateur de la BBC Radio 1. Convaincu, celui-ci diffuse le morceau et lit l'appel du groupe, priant un producteur de bien vouloir les enregistrer avec un son plus correct.

«14th floor» fut repris un an plus tard par leurs amis des Swell Maps dans une version mémorable si l'on considère qu'il s'agit de la seule chanson au monde comportant un solo joué avec une langue de belle mère (ce sont les pseudo-instruments que l'on trouve dans les paquets de cotillons et qui font «Trwoooooouïnt» quand on souffle dedans).

Swell maps - 14th floor


Leur carrière lancée, les Television Personalities se firent maintenant la spécialité des chansons à l'humour sarcastique, symbolisées par «Part-time punks» (1978) («Ils écoutent leur disque très fort et pogotent devant le miroir de leur chambre ; mais seulement quand leur maman n'est pas là [...] Les voilà : ce sont les punks à temps partiel !»). Impossible cette fois de ne pas songer au «Dedicated follower of fashion» des Kinks : cette descente en règle des poseurs et des suivistes de tous poils.

1981, après une flopée de singles, un premier album sortit enfin : And don't the kids just love it. Le disque était une merveille, une succession de chansons accrocheuses, gorgées d'humour et de narration kinksienne.

On y trouvait ainsi «Geoffrey Ingram» (réponse au «David Watts» des Kinks), portrait d'un gosse-beau à qui tout réussit, «un gars qui arrive toujours chez lui au moment même où il commence à pleuvoir» :
«Moi et Geoffrey somment allés à un concert des Jam ; malheureusement, on est arrivé trop tard : la salle du Marquee était pleine alors qu'il n'était que huit heures cinq. Mais, et ne me demandez pas comment il s'y est pris, Geoffrey a réussi à nous faire admettre sur la liste des invités. Geoffrey est le genre de gars qui est bien au-dessus de tous ces petits tracas».

L'album comprenait également un morceau dont le seul titre est à l'origine d'un culte : «I know where Syd Barrett lives», hommage émouvant et sincère au premier chanteur du Pink Floyd, le génie devenu simplet à cause du LSD. Ce titre vaudra au groupe d'être invité par Pink Floyd pour une de leur première partie. Mais comme les Television Personalities étaient décidément des gens intenables, ils ne trouvèrent rien à faire de plus malin que de divulguer la véritable adresse de Syd Barrett à toute l'assistance. Inutile de préciser qu'il n'y eut pas de seconde date avec Pink Floyd.

Parallèlement à ces traits d'humour et à cette affection pour les références musicales ou cinématographiques («La grande illusion», «A picture of Dorian Gray»), l'album laissait toutefois paraître un profond désespoir.
Cette tendance à la noirceur, qui allait s'affirmer de plus en plus dans la discographie du groupe, transparaissait surtout dans un morceau fulgurant, un chef-d'oeuvre surgit de nulle part, une historiette bouleversante lacérée à la guitare : «World of Pauline Lewis».
Cette chanson, c'est l'histoire d'une adolescente miséreuse qui se réfugie dans son univers à elle, un monde dans lequel elle est mannequin, chaussée d'élégants petits souliers Ravel et délicatement poudrée de maquillage Mary Quant ; jusqu'à ce qu'elle finisse par se donner la mort, seule dans son lit, «car il n'était plus possible de faire semblant». Pour cette fois, il n'y a pas d'équivalent dans la discographie des Kinks ; rien d'aussi triste chez eux ; ni chez qui que ce soit dans le rock'n'roll.

Television Personalities - World of Pauline Lewis
(acheter And don't the kids just love it sur Amazon)

Parallèlement aux Television Personalities, le bassiste Ed Ball s'illustrait dans d'autres projets musicaux : O Level, Teenage Filmstars, les Times, dans lequel officiait également épisodiquement Dan Treacy.
Les compères produisirent ainsi un certain nombre de disques résolument inspirés par le Pop Art et la culture des années 1960 ; pour preuve, cet hymne à la série télévisée Le Prisonnier : «I helped Patrick McGoohan to escape», merveille déjà publiée sur Infrasons.

Teenage filmstars - I helped Patrick McGoohan to escape
(Mod Pop Punk archives)


Autre obsession pour Ed Ball : les Creation, groupe formidable des années 1960 dont, promis, je vous reparlerai un jour ; des gars qui affirmaient : «Notre musique est rouge, avec des éclairs violets»

Times - Red with purple flashes
(Mod Pop Punk archives / acheter Go ! With the Times sur Amazon)


Voilà, c'était ma façon à moi de rendre hommage à un groupe dont le talent n'a pas suffi à en faire des personnalités de la télévision.

1 commentaire:

Unknown a dit…

Wahou ! Je ne m'étais jamais vraiment penché sur ce groupe, ne le connaissant que de nom, mais là cet article éclaire ma lanterne et met en perspective les mp3 proposés, je vais me plonger dedans, un grand merci.