(copie d'un article rédigé pour les amis de PlanetGong)
Parmi la myriade des girl-groups
des années 60 (Supremes, Ronettes, Shangri-las, Martha et les
Vandellas, pour ne citer que les meilleurs), les Dixie Cups suscitent
une sympathie particulière, du moins chez l’auteur de ces lignes.
Certes, leur carrière est brève et leur discographie peut sembler
ténue ; elle recèle cependant nombre de chefs-d’œuvre du genre. Et puis,
on trouve un ovni dans leur répertoire, une incongruité qui nous plonge
dans les traditions étonnantes du Carnaval et du Mardi gras créole.
Nous y reviendrons un peu plus loin.
Originaires de la Nouvelle-Orléans
(détail qui aura son importance pour la suite de l’histoire), les Dixie
Cups sont, comme souvent chez les girl-groups, une histoire de
famille ; la formation réunit ainsi les deux sœurs Hawkins et leur
cousine. La scène rhythm’n’blues est alors foisonnante à la
Nouvelle-Orléans (Fats Domino, Lee Dorsey, Allen Toussaint, Earl King,
Irma Thomas,…). C’est d’ailleurs une célébrité locale, le chanteur /
producteur Joe Jones, qui les repère lors d’un concours musical et leur
décroche un contrat à New-York avec Red Bird Records.
Dès lors, le groupe bénéficie de la fameuse équipe de compositeurs / producteurs juifs new-yorkais (« di vunderlekhe manshaft »,
dirait-on en yiddish) qui enchaîne les tubes avec une facilité
déconcertante : Jeff Barry, Ellie Greenwich, Jerry Leiber, Mike Stoller,
et même une petite contribution de Phil Spector. C’est d’ailleurs
Stoller qui baptise le groupe Dixie Cups (nom des petits gobelets en
carton, souvent utilisés pour servir les glaces). Le succès est immédiat
puisque le premier 45 tours (« Chapel of Love ») atteint la première place du Billboard Hot 100 en juin 1964, détrônant les Beatles.
Ce qui interpelle avant tout chez les
Dixie Cups, c’est la qualité du chant, élégant, sans artifice, alliant
avec bonheur les voix des trois interprètes ; il met en valeur des
mélodies lumineuses et souveraines (« I’m Gonna Get You Yet », « People Say », « Girls Can Tell »,…).
Au contraire, l’instrumentation sait rester sobre, laissant le premier
rôle aux parties vocales, preuve de l’intelligence des producteurs.
Le répertoire du groupe recèle par ailleurs une curiosité, « Iko Iko »,
dont l’histoire mérite d’être contée. Au cours d’une session de studio,
en 1964, nos trois cousines profitent d’une pause pour interpréter une
chanson qu’elles tiennent de leur grand-tante, sans se douter que la
bande d’enregistrement continue à tourner. Marquant le rythme avec des
percussions improvisées (un cendrier, une bouteille de Coca et une
chaise en aluminium), elles reprennent sans le savoir « Jock-A-Mo », chanson écrite 11 ans plus tôt par James Crawford et inspirée par les scènes de carnaval de la Nouvelle-Orléans.
Pour fêter Mardi gras, de nombreux
Afro-américains paradent en effet dans la capitale de la Louisiane
déguisés en « Indiens », c’est-à-dire parés de grandes plumes
multicolores et dansant sur des rythmes tribaux. Témoin de ces scènes
qui symbolisent depuis le XIXe siècle le caractère culturel unique de la
Nouvelle-Orléans (influencé notamment par les traditions françaises,
amérindiennes et africaines), James Crawford a inséré dans sa chanson
des formules prononcées par les « Indiens » à cette occasion, bien qu’il
n’en comprenait pas le sens.
Les linguistes s’écharpent depuis de longues années sur la signification de ces phrases mystérieuses (« Iko, Iko, un-day, Jock-a-mo fee-no ai na-na, Jock-a-mo fee na-na »).
S’agit-il d’une langue amérindienne ? Ou de formules ouest-africaines
ayant transité par Haïti ? La thèse la plus fréquemment admise
privilégie l’origine créole française. « Iko » serait ainsi une retranscription phonétique de « Akout » qui dériverait du français « Écoute ».
Bonne nouvelle, la chanson peut donc entrer dans les quotas
francophones. À noter d’ailleurs que Julie Dassin (la sœur de Joe) a
repris le morceau en français en 1967, dans une version d’assez bon
aloi.
Mais revenons à nos Dixie Cups. Lorsque
les producteurs écoutent les bandes d’enregistrement du studio, ils se
rendent compte que la version impromptue de « Jock-A-Mo » est
un tube en puissance. On rajoute quelques ornements ci et là, et le tour
est joué ; le disque se vend comme des petits pains sous le nom de « Iko Iko » (il donnera bien entendu lieu à toute une série de procès d’ayant-droits ; mais ne nous attardons pas sur ces détails).
En 1965, les Dixie Cups changent de
label, signant chez ABC, le temps d’enregistrer un album et une poignée
de 45 tours. Les compositions ne sont toutefois pas du même niveau et
les disques ne rencontrent pas le succès escompté. Le groupe se sépare
donc en 1966, se reformant depuis ponctuellement pour des concerts.
♫ Dixie Cups - I'm Gonna Get You Yet
♫ Dixie Cups - People Say
♫ Dixie Cups - Girls Can Tell
♫ Dixie Cups - Iko Iko
♫ Dixie Cups - Chapel of Love