mercredi 26 mars 2008

Les Kinks



A force de n'évoquer que des musiciens obscurs, j'en oublierai presque l'essentiel, à savoir : les Kinks sont le plus grand groupe de tout les temps. Et cette affirmation ne souffre ni nuances ni contestations.


J'avoue m'être gratté et regratté la tête pour trouver comment présenter succintement un groupe dont un blog entier ne suffirait à décrire le génie.
Mais comme il fallait bien trouver quelque chose, je me suis dit qu'on pouvait toujours commencer par évoquer les talents de parolier de Ray Davies (le chanteur-compositeur du groupe) ; un talent sans équivalent.

En guise de préambule, j'aimerais rappeler l'éternelle difficulté à laquelle est confronté tout parolier de rock'n'roll : comment arriver à dire quelque chose d'intéressant sur un morceau de 2 minutes 30, c'est-à-dire en quelques phrases hachées, hoquetées, bégayées (pour Roger Daltrey), aboyées, hurlées ou pire encore ?

L'art du parolier se rapproche, d'une certaine manière de celui de l'écrivain de nouvelles qui doit, malgré un format concis, réussir à suggérer une atmosphère, une intrigue ainsi que des sentiments ou caractéristiques sociologiques plausibles pour chacun de ses personnages.
Le secret dans tout ça, c'est le pouvoir d'évocation : en citant des détails extrêmement précis, les paroles doivent faire appel à des images, des représentations qui vont éveiller l'imagination de l'auditeur. C'est précisément cet art du détail que Ray Davies a porté au sommet avec les Kinks.

Prenons un exemple pour mieux comprendre avec, au hasard, la chanson «End of a season». Ray Davies se met dans la peau d'un malheureux cocu, trompé et abandonné par sa femme. Voilà un thème mille fois abordé auparavant et qui en deviendrait presque ronflant. Mais les Kinks réussissent malgré tout à décocher la flèche au bon endroit ; pour nous nous prendre à la gorge, nous passionner et nous émouvoir.
Tout cela tient à un simple phrase : «Je ne peux même plus me rendre dans les clubs que je fréquentais ; maintenant que des travaillistes y viennent, je n'ai plus aucun endroit où aller». Bing ! En quelques mots, l'histoire est située, le décors est planté. Il ne s'agit plus d'une histoire d'amour abstraite et théorique ; non : c'est un homme en cher et en os que nous avons devant nous : un bon conservateur britannique, certainement colonel, avec les moustaches en pointe du major Thompson et un éternel costume gris à carreaux ; un comte de vieille famille qui aime le cricket et les courses à Ascott.
En somme, voilà un personnage pas folichon mais qui, brusquement nous devient sympathique parce qu'il existe, parce qu'il fait appel à un imaginaire précis : l'Angleterre, ses us et coutumes, son ciel gris, sa gentry. En 2 minutes 58 et quelques strophes, Ray Davies a réussi a posé les bases nécessaires à toute bonne narration : un décors, une époque, des relations entre des personnages soumis aux contraintes sociales ; la vie quoi.

Maintenant que j'ai fini mon analyse sur le mode de narration chez les Kinks, je vous propose d'écouter deux de mes chansons préférées.

La première, «Remember Walter» est peut-être celle qui me touche le plus. Il y a quelque chose de poignant dans les paroles, dans les reproches faites par le narrateur à son ancien ami, Walter. Celui-ci a tout oublié : les après-midi passés à jouer au cricket sous un ciel détrempé, les clopes fumées en cachette derrière la porte du jardin et les milliers de rêves qu'ils avaient : économiser tous leurs sous pour, un jour, acheter un bateau et faire le tour du monde. Mais Walter n'est plus qu'un père de famille bedonnant ; et c'est à peine s'il se souvient du nom de son compère. Dès qu'on évoque le passé, ça l'ennuie et il n'a pas envie d'ajouter quoi que ce soit.
A chaque fois que j'écoute cette chanson, j'ai l'impression de connaître ce Walter et qu'il est là devant moi, hautain et volontairement amnésique. Et j'en tirerais presque une larme.

L'autre chanson, «David Watts» est un chef-d'oeuvre de jalousie et de frustration sociale. Un type insignifiant de la «working class» y raconte combien il aimerait être à la place de David Watts, ce fils de bonne famille toujours premier de la classe, meilleur joueur et capitaine de l'équipe de foot ; le gars qui est toujours de bonne humeur et qui a déjà rencontré la reine ; celui qui est apprécié par tout le monde et avec qui toutes les filles du quartier veulent sortir.
On a tous connu un David Watts. Un gars si parfait qu'on avait honte de le haïr. Mais le soir, lorsqu'on se morfondait sur son oreiller, on l'enviait férocement...

Kinks - Remember Walter
(acheter The village green preservation society à la Fnac)
Kinks - David Watts
(acheter Something else chez Gibert Joseph)

dimanche 16 mars 2008

Le son du Medway (2) : les Buff Medways

C'est donc fini : la France a perdu son dernier poilu, Lazare Ponticelli, ultime témoin de la guerre des tranchées. Alors aujourd'hui : tambours, trompettes et salves d'honneur pour tous ceux qui ont brûlé leur jeunesse dans les boues de la Somme ou de la Champagne ; quel que fut leur camp.

Comment pourrions-nous leur rendre hommage ? En écoutant Billy Childish et ses Buff Medways qui, on ne sait trop pourquoi, croyaient le temps s'être arrêté en 1914 ; même quand leur calendrier s'obstinait à afficher 2004 ou 2005.

Un article précédent sur Infrasons avait évoqué le personnage fantasque mais attachant qu'est Billy Childish. Si vous vous amusez à chercher des informations sur le bonhomme, vous trouverez systématiquement les mêmes remarques : Billy est un sympathique garageux qui, depuis 30 ans et par le biais d'une dizaine de groupes, enregistre un peu toujours la même chose, changeant simplement de thème vestimentaire :

-le style Beatles à Hambourg (lorsqu'il était avec les Milkshakes) ;
-le look peplum (du temps des Mighty Caesars) ;
-les déguisements de Sherlock Holmes (avec les Headcoats) ;
-les tenues de l'armée coloniale britannique (avec son dernier groupe : les Musicians of the British Empire) ;
-et, nous y voilà, les costumes de la Grande Guerre (avec les Buff Medways).

Certes, Billy Childish revendique lui-même haut et fort qu'il n'y a jamais eu d'évolution dans sa musique (en précisant que l'authenticité artistique importe davantage que l'originalité ou la nouveauté) mais, dans les faits, cette affirmation est fausse. Seuls un journaliste paresseux ou un sourd ne sauraient déceler les évolutions et variations qui ont marqué sa longue carrière ; celle-ci se découpant schématiquement en plusieurs périodes:

-le Rockabilly/Merseybeat/Rhythm'n'Blues des Milkshakes ;
-le Punk rentre-dedans et hargneux des Mighty Caesars et des Headcoats ;
-les chansons Girl-groups des Delmonas puis Punk Bubble-gum des Headcoatees ;
-Tout ça pour aboutir au début des années 2000 au son des Buff Medways, cette fois clairement influencé par les Who.

Je ne sais pas exactement comment s'opérait l'écriture et l'enregistrement des morceaux chez les Buff Medways mais je suppose qu'ils étaient influencés par la présence du bassiste Graham Day, l'ancien chanteur des Prisoners (voir l'article précédent sur ce groupe). Immense figure de la scène Mod, celui-ci a certainement apporté une touche Pop 60s au combo avec des arrangements plus travaillés et des choeurs à la Pete Townsend. Il complète finalement parfaitement le côté garage teigneux de Billy Childish, son compère de la scène du Medway.

Pour en revenir à nos moutons, ou plutôt à nos canons, les Buff Medways ont écrit tout un tas de titres directement inspirés par les événements de la première guerre mondiale, de «Merry Christmas Fritz», racontant la fameuse partie de football entre soldats des différents camps lors de la trêve de noël, au «Mons quiff», nom de la coiffure adoptée par les Tommies britanniques stationnés à Mons, en Belgique. C'est d'ailleurs ce morceau, un instrumental, que je vous propose d'écouter en premier.

Et comme j'aime beaucoup les Buff Medways, je me permets de renchérir avec deux autres gâteries issues de leur répertoire. Juste histoire de fêter Pâques joyeusement.

Buff Medways - Mons quiff
Buff Medways - Unable to see the good
(acheter 1914 sur Amazon)
Buff Medways - The poets dream
(acheter Medway wheelers chez Damaged goods)




samedi 8 mars 2008

Ko et les Knockouts

Il y a des chansons, comme ça, qui sont parfaites. Inutile de vouloir les reprendre ou d'en changer la moindre double-croche : ça ne sert à rien, on ne pourra jamais les améliorer.
On souhaiterait même retrouver les bandes d'enregistrement pour les enfermer dans un coffre en acier inoxydable ; dessus, on apposerait un sceau : «Morceau parfait / Défense d'ouvrir». Le coffre serait évidemment déposé dans un abri anti-atomique, protégé sous dix mètres de béton armé (et même armé jusqu' aux dents).
La chanson «Black and blue» de Ko et les Knockouts est de cette trempe.

Le nom de groupe est un jeu de mot absolument truculent puisque la chanteuse s'appelle Ko Shih. Ko est d'ailleurs l'archétype de la rockeuse de Detroit, c'est à dire d'une scène garage foisonnante (White Stripes, Dirtbombs, Go, Detroit Cobras, Von Bondies, Electric six et consorts) dans laquelle tout le monde a trente projets en même temps, chacun trempant son nez un peu partout et avec n'importe qui. Trucmuche a joué dans le groupe de machin, qui lui même a produit l'album d'untel et accompagné bidule à la guitare sur scène ; bidule chantant par ailleurs dans le combo de trucmuche ... Bref, c'en devient presque incestueux (et je ne dis pas seulement ça pour le couple/fratrie des White Stripes).

Ko Shih, donc, a souvent été vue à la basse des Dirtbombs, un peu aussi avec les Von Bondies. Elle a même travaillé pour les White Stripes comme vendeuse d'albums et de produits dérivés à la fin des concerts.
Elle forma «Ko & the Knockouts» pour enregistrer un morceau destiné au Sympathetic sounds of Detroit, une complitation supervisée par Jack White qui se faisait fort de rassembler la crème de la scène garage locale.
À cette occasion, elle s'adjoignit les services d'Eddie Baranek (chanteur des Sights) à la guitare et de Jeff Klein aux fûts. L'association produisit cette petite merveille, «Black and blue», un mélange de nervosité et d' harmonies Pop parfaites ; une pièce d'orfèvrerie comme on ne sait plus en graver depuis les premiers Who. L'alchimie prit si bien que nos amis décidèrent de poursuivre ensemble, le temps d'enregistrer un album (éponyme) en 2002.

Ko et les Knockouts - Black and blue
(Myspace / Acheter Ko and the Knockouts chez Soundflat)