mardi 30 août 2011

Dandy Livingstone

En 1979, les Specials affolent les Îles Britanniques avec leur détonant croisement de Ska jamaïcain et de Pop anglaise. Le public s'enthousiasme pour ce groupe qui arbore fièrement des motifs à damiers noirs et blancs, symbole de son caractère pluri-ethnique. Entre autres succès, la formation atteint la 10e place des ventes en reprenant un morceau de Dandy Livingstone : «Rudy, a Message to You».

L'interprétation est excellente, le succès est mérité. Cette reprise a toutefois un tort : elle occulte quasiment la version originale ; or, quiconque a pu l'écouter en est convaincu : elle surpasse mille fois la reprise des Specials.

On aurait tort malgré tout de considérer «Rudy, a Message to You» comme LE chef-d'oeuvre de la musique jamaïcaine. Tort car il s'agit d'un morceau britannique, son interprète ayant émigré à 15 ans en Angleterre et ayant effectué toute sa carrière artistique (comme chanteur ou producteur) dans la perfide Albion. Tort aussi car cette chanson dépasse les frontières du rocksteady, du bluebeat, du ska, du reggae ou de tout ce que l'on qualifie habituellement de musique jamaïcaine. Merveille parmi les merveilles, le morceau de Dandy Livingstone s'élève jusqu'à la perfection Pop frisant au passage la voute céleste de la Soul. Bref, elle fait partie des plus belles chansons écrites ces 5 758 dernières années.

Tout n'est qu'excellence : le rythme tout d'abord, entêtant, accrocheur et adouci par la voix de Dandy Livingstone, d'une beauté ahurissante. Mais déjà est-on conquis par le morceau que surgit le solo, sommet du genre, enchevêtrement magistral de cuivres qui se répondent et s'enlacent avec un brio époustouflant (le célèbre tromboniste Rico Rodriguez participe à l'enregistrement et accompagnera les Specials dix ans plus tard lorsqu'ils reprendront le morceau). Rien à dire, nul n'a fait mieux.

Un dernier mot sur les paroles de la chanson. «Rudy» ne désigne pas un prénom mais est un diminutif de «Rude Boy», argot jamaïcain que l'on traduirait aujourd'hui par «Racaille» ou «Mauvais garçon». Dandy Livingstone envoie donc en 1967 un appel aux gangs qui plongent le pays dans la violence depuis son indépendance (en 1962). «Arrête de filer un mauvais coton, ou tu finiras en prison», c'est en substance le sens de la chanson.