lundi 25 avril 2011

Les Mods : vérités et contre-vérités

Infrasons s'attaque aujourd'hui au mythe le plus intouchable de la culture rock - les Mods - avec toute son objectivité habituelle.

Commençons par un rappel historique. La culture Mod est un phénomène quasi-strictement anglais apparu à la fin des années 50 et qui concernait, initialement, une poignée de jeunes gens passionnés de musique noire américaine et, plus précisément, de jazz ou de rhythm'n'blues (avant de se convertir à la Soul dansante et au Beat jamaïcain). Au-delà de la stricte dimension musicale, ces Mods s'étaient fixés un principe de vie : être à tout prix modernes, élégants, urbains et dynamiques (ce que le manager des Who - Peter Meaden - résuma par cette maxime : «Clean living under difficult circumstances»).

Ces avant-gardistes (le terme «Mod» étant une abréviation de «Moderniste») adoptèrent des codes et des accessoires qui, très vite, devinrent leurs signes de reconnaissance : scooters Vespa ou Lambretta, coiffures «à la française» et tenue vestimentaire travaillée (costumes sur-mesure, chemises Ben Sherman,...) ; car c'est là un point essentiel : un vrai Mod est tenu d'avoir la même passion pour sa garde-robe que pour les enregistrements de James Brown.


Au début des années 60, le succès des Beatles et des Rolling Stones éveilla la curiosité des jeunes Anglais pour le rhythm'n'blues. Les rangs des Mods se trouvèrent brusquement élargis et cette sous-culture se vit érigée en phénomène de société. Or, la Grande-Bretagne a toujours aimé diviser sa jeunesse en «clans» rivaux (punks, skinhead, suedeheads, teddy boys,...) ; il fallut donc trouver un ennemi aux Mods : ce furent les rockeurs.

Tout opposait en apparence les Mods et les rockeurs : scooters contre motos, élégance urbaine contre graisse de moteur, danses rythmées contre équipées sauvages, costumes ajustés contre cuirs poussiéreux. Alors l'inévitable arriva : la guerre fut déclarée à l'été 1964 et Mods et rockeurs s'affrontèrent sur les plages de Brighton dans des rixes qui affolaient la presse anglaise.

Pour une autre raison, les années 1964-1965 furent charnière pour les Mods. En effet, alors qu'ils se focalisaient jusque-là essentiellement sur la musique noire américaine, la plupart des Mods se tournèrent vers de jeunes groupes anglais qui électrisaient et révolutionnaient la production musicale (Who, Small Faces, Creation). Ce fut un vrai tournant puisque, pour la première fois, des formations à succès se réclamaient de la culture Mod, offrant au mouvement de nouveaux porte-étendards et conférant à ce courant un caractère purement anglais (comme le prouvent les vêtements des Who taillés dans des drapeaux britanniques ou la fameuse cocarde bleu-blanc-rouge qu'arborent encore aujourd'hui les Mods). De façon assez curieuse, on pouvait désormais être Mod en n'écoutant que des groupes de rock anglais et en ne connaissant rien à la musique noire américaine.


Le phénomène Mod s'estompa avec l'arrivée du courant psychédélique de 1967 avant de resurgir 10 ans plus tard lorsque sortit le film Quadrophenia (adapté d'un concept-album des Who racontant l'histoire d'un jeune Mod) et que triomphaient des groupes estampillés «néo-Mods» (tels les Jam ou Secret Affair).


La qualité affichée par certains groupes néo-Mods (les Prisoners ou les Television Personalities) a renforcé l'attrait et la fascination exercée par ce courant. A tel point que les Mods semblent être la seule sous-culture rock «intouchable» (les hippies étant moqués, les punks méprisés, les blousons noirs ringardisés et je vous épargne les gothiques new-wave et les hardeux). Elégants, modernes, talentueux, inventifs et multiculturels : les Mods ont tout pour eux !

Mais, chez Infrasons, un tel consensus suscite la méfiance. Adossés à la scientificité qui fait notre réputation, nous allons tenter de déconstruire cette «légende dorée» pour en extraire le vrai de l'exagération.



- LA CULTURE MOD EN QUESTIONS -
(un grand dossier Infrasons)


Question n°1 : les groupes Mods étaient-ils si talentueux ?
Réponse : OUI


Oui oui oui et cent fois oui ! Entre 1964 et 1967, les groupes Mods ont créé l'un des genres musicaux les plus aboutis de l'Histoire (souvent appelé le Freakbeat). Explosifs, enthousiasmants, parsemés d'effets sonores audacieux, leurs enregistrements subjuguent toujours par leur qualité et leur fougue. Birds, Action, Alan Brown Set, Mockingbirds, Sands, John's Children, Beatstalkers,... : même les groupes dits de seconde division avaient avaient ce je-ne-sais-quoi de grandiose.



Question n°2 : les groupes Mods avaient-ils la classe ?
Réponse : NON

S'il est bien une vérité à rétablir, c'est celle-ci : la plupart des groupes Mods étaient vêtus comme des sacs. Et c'est bien là un paradoxe ; car si les Mods étaient obnibulés par leur apparence et par leur accoutrement, les groupes musicaux censés les représenter faisaient souvent montre des goûts vestimentaires les plus approximatifs.

Si les Who s'en tirent, somme toute, plutôt bien avec leurs tenues taillées dans le drapeau britannique, l'accoutrement des autres formations prête franchement à sourire. Quelques images pour illustrer ces propos :

Coiffures oscillant entre la nuquette et la choucroute, vestes trop larges et pantalons de pyjama : les Creation étaient aussi mal accoutrés que talentueux




Si les Small Faces n'avaient pas choisi d'avoir des têtes de hobbits, ils avaient en revanche délibérément choisi de porter des chemises à jabot, des cols pelle à tarte et de ressembler à une troupe de cirque



Et puisque Infrasons aime pousser la provocation jusqu'à ses limites les plus folles, n'ayons pas peur de clamer cette vérité, certes brutale : les rockeurs avaient au moins autant de style que les Mods. Il suffit, pour s'en convaincre, de jeter un oeil à leurs montures respectives ; qui oseraient comparer les Norton, BSA, Triumph et autres motos de grande classe utilisées par les rockeurs anglais aux agaçants scooters Mods qui, aujourd'hui encore, enragent les automobilistes de toutes les métropoles ? Et, avouons-le, un blouson en cuir sera toujours plus racé qu'un costume, fût-il taillé sur mesure et dans un tissu en mohair.

Ennemis jurés des Mods, les «rockeurs» affichaient pourtant une classe indéniable




Question n°3 : les Mods étaient-ils des gosses de riches ?
Réponse : NON

Dans la France des années 2010, un adolescent qui se pavane en costume, en veste croisée ou avec une cravate à double-nœud est immédiatement associé au XVIe arrondissement de Paris. Dans le Londres des années 60, cette logique n'a aucun sens. Le courant Mod, et c'est tout à son honneur, est un des rares mouvements de jeunesse dans lequel l'objectif n'est pas de se soustraire aux codes de l'élégance imposés par la bourgeoisie mais, au contraire, de les surpasser. Imaginez des jeunes des cités qui porteraient le monocle, le chapeau melon et le noeud papillon au pied de leur HLM. C'est cela l'esprit Mod : narguer le bourgeois en lui hurlant à la face : «Je suis un moins-que-rien, mais je suis plus classe que toi».

Les Mods ont souvent été associés à la jeunesse dorée dans la mesure où ils portaient des tenues coûteuses et où ils s'opposaient à des rockeurs censés représenter la caste prolétaire et rebelle. Le contingent Mod recrutait pourtant très largement dans les classes moyennes et ouvrières. Sa caractéristique sociale tient plutôt à son caractère urbain, les Mods provenant avant tout des grandes villes.



Question n°4 : devenir Mod, était-ce rejoindre un clan et adopter un état d'esprit ?Réponse : NON

L'Histoire a souvent tendance à glorifier et simplifier le phénomène Mod. Elle propose ainsi souvent une vision schématique et binaire de la jeunesse anglaise partagée entre rockeurs et Mods, chaque clan semblant régi par des codes et des symboles bien distincts.

La vérité était évidemment plus complexe ; il n'y avait pas de frontière aussi tranchée entre les Mods et les non-Mods. D'une certaine façon, dans la jeunesse anglaise des années 60, tout le monde était Mod, et personne ne l'était entièrement. Pourquoi ? Car l'esprit Mod correspondait aux aspirations d'une génération toute entière qui, contrairement aux précédentes, n'avait jamais connu la guerre. N'ayant connu que des temps insouciants, elle mourait d'envie de consommer (des disques, des vêtements,...), de s'amuser (notamment en dansant) et d'affirmer sa liberté vis-à-vis des parents (en adoptant une musique révolutionnaire et une apparence vestimentaire ostentatoire).

D'un strict point de vue musical, la quasi-totalité de la Pop anglaise pouvait être apparentée au son «Mod» dans le sens où elle s'inspirait du rhythm'n'blues américain tout en lui conférant un aspect dansant et entraînant. Beatles et Rolling Stones sont ainsi en 1964-66 très proches des groupes catalogués comme «Mod» (notamment les Who). John Lennon lui-même affirmait dans une interview que, à leurs débuts, les Beatles étaient un groupe Mod (non sans une pointe de condescendance d'ailleurs pour le mouvement).

Pour autant, personne n'était 100% Mod non plus, car l'esprit Mod était un idéal des plus abstraits et des plus flous. Les Mods ne formaient pas un clan homogène ; ils se divisaient en sous-groupes qui se dénigraient les uns les autres en se considérant comme plus «durs» ou plus «puristes». Un monde existait ainsi entre les vrais puristes (amateurs de jazz méprisant les Who, les Kinks, les Small Faces et toute la soi-disante scène Mod anglaise), les petites frappes pour qui le mouvement Mod servait surtout de prétexte pour jouer les lascars et se castagner avec les rockeurs, les minets qui cherchaient les tenues les plus extravagantes pour séduire les filles de leur quartier, les fans de scooter et le troupeau de suivistes qui avait surtout envie de s'amuser et de danser avec les autres. Dix ans plus tard, les néo-Mods formaient également une nuée hétéroclite oscillant entre amateurs de Soul, amateurs de Ska et fans des Jam ou des Who qui ne connaissaient rien à la musique noire. Telle était la réalité du mouvement Mod.



Question n°5 : l'esprit Mod est-il perpétué par les «néo-Mods» ?
Réponse : OUI et NON

Dès que le courant Mod passa de mode, en 1967, des passionnés s'évertuèrent à maintenir la flamme. Des clubs du Nord de l'Angleterre (à Manchester notamment) se rendirent célèbres à cette époque en organisant de grandes fêtes placées sous le signe du Ska et de la Soul (le fameux son «Northern Soul»). Le phénomène amplifia en 1977-79 avec la vague néo-Mod. Aujourd'hui encore, la scène dite Mod continue à être importante et à faire des émules chez les jeunes générations.

Pourtant, il y a là quelque chose de paradoxal. Comment peut-on adopter une attitude rétro et nostalgique vis-à-vis d'un mouvement qui prônait le modernisme à tout prix ? D'un point de vue strictement logique, on ne peut pas être «néo-Mod» et chercher à faire revivre les années 60. À moins que la vraie avant-garde ne soit justement de reconnaître la supériorité de la musique des années 60 sur celle d'aujourd'hui ; voilà un mode de pensée qui, pour le coup, serait réellement révolutionnaire et moderniste, donc Mod.

Alan Brown Set - Emergency 999 (1966)

Modement vôtre.

mercredi 13 avril 2011

Pendentif


Il se passe quelque chose dans le sud-ouest de la France. Depuis quelques mois, Gascons, Catalans et Basques ont le chic pour engendrer des groupes supra-chouettes, qu'ils viennent de Perpignan (les Limiñanas), Biarritz (La Femme, même si l'origine du groupe est sujette à controverse) ou Bordeaux (Pendentif).

Place aujourd'hui à Pendentif qui, à certains égards, se rapproche de La Femme avec ses rythmiques surf et son chant féminin naïf. La comparaison s'arrête cependant là : Pendentif propose des chansons bien plus sages et sa Pop soignée évoque tout aussi bien Air. Je ne sais pas ce que nous réservent Toulouse, Pau, Agen et Narbonne, mais j'en salive déjà !

Pendentif - Riviera (2011)
(site / extrait d'un disque 7 pouces sorti chez La bulle sonore)

lundi 4 avril 2011

Young Michelin



Tout part à vaux-l'eau, y compris chez Michelin. Ainsi, alors que l'entreprise clermontoise parvenait à distiller un je-ne-sais-quoi de sympathie dans nos cœurs grâce à sa tradition paternaliste auvergnate toute surannée et son Bibendum alcoolique, voilà que ses nouveaux dirigeants sabordent son image à petit feu.

Avez-vous vu ce qu'ils ont fait de Bibendum ? Cette fière mascotte n'est plus qu'un gros chewing-gum gavé de stéroïdes et affublé d'un sourire de Playmobil. Elle semble avoir été conçue par un graphiste moldave qui s'exerçait pour la première fois sur un logiciel de modélisation 3D (avec tout le respect que j'ai pour les designers moldaves, qui sont d'ailleurs nombreux à lire ce blog et à qui je soulève amicalement mon chapeau).

Sur Infrasons, bien sûr, on préfère voir le Bibendum Michelin des jeunes années, et on se souvient avec émotion de cette époque où, fier de sa bedaine, il jouait à la belote, trinquait avec des escargots, déclamait du latin et fumait des gros cigares. Peut-être est-ce avec cet esprit nostalgique que le groupe Young Michelin s'est lancé dans la musique. Et peut-être ont ils voulu retrouver la fraîcheur des petites routes départementales avec leur instrumental «Les copains», morceau qui évoque les départs en vacance, le soleil estival et les cartes routières usées.

Young Michelin restera, je pense, toujours un groupe de seconde division. Mais il atteint avec ce morceau un tel sommet de légèreté et d'épuration qu'il mérite d'être cité sur ce blog. Rien que pour eux, le concept de «Ligne claire» devrait s'affranchir des frontières de la BD et investir le langage de la Pop.

PS : la prochaine fois, on restera en France avec un groupe fabuleux : Pendentif. Vous ne devrez rater cela sous aucun prétexte. Tenez-le vous pour dit et dîtes-le dans vos villages.