dimanche 20 avril 2008

À l'ouest du Rhin

Lorsque j'ai décidé de faire ce blog, je m'étais dit que je me limiterais à chroniquer les artistes que j'aime bien. Cela prend déjà tellement de temps que, si je devais en plus m'attacher aux mauvais, j'y passerais ma vie. Et puis, de toute façon, la télé, la radio et la presse s'en chargent déjà très bien.


Mais, aujourd'hui, je vais faire une exception car, devant le tourbillon médiatique qui s'est soudainement emparé de Sébastien Tellier, je ne peux rester muet. Que les choses soient très claires : notre ami Sébastien (je dis ami car je ne suis pas rancunier) est le pire musicien qu'il m'ait été donné de voir. Et pourtant, j'ai vu des collégiens boutonneux s'essayer pour la première fois à leurs instruments des soirs de fête de la musique, j'ai vu des concerts caritatifs estampillés «nouvelle scène française», j'ai vu des zombies à tignasse tentant d'achever nos oreilles dans des bars mieux. Oui, mais pire que Sébastien Tellier, je n'ai jamais vu.

C'était aux Transmusicales de Rennes, il y a quelques années ; le bonhomme était annoncé comme la révélation du festival et puis, catastrophe et consternation, voilà que surgit une sorte de Corbier vêtu d'un costume de serveur de Buffalo Grill. Je ne me souviens même plus à quoi ressemblait leur bouillie : des espèces de grognements faussets sur un fond sonore synthétique, je crois. Mais ce que je n'ai pas oublié, c'est la réaction du public, huant les hurluberlus à l'unisson. Jamais par la suite je n'ai revu une chose pareille. Plusieurs voix s'élevaient pour chambrer : «Dis Sébastien, la scène c'est pas ton truc ?!?».

Tellier commença par se venger en proférant de basses insultes puis, imaginant une méthode plus diabolique, enchaîna plusieurs rappels que, pourtant, personne ne réclamait. Les sifflets redoublés parvinrent heureusement à chasser le malotru avant que notre santé auditive ne soit réellement atteinte. Ouf ! Le calvaire prenait fin.

Ce jour là, j'ai regretté de ne pas avoir emmené mon tonneau de goudron et mon sac de plumes ; ainsi qu'un grand rail de chemin de fer pour édifier à Sébastien un trône digne de lui. Mais à part ça, je ne lui en voulait pas plus que cela : ce concert resterait à jamais comme un souvenir rigolo. Et puis, après sa prestation, il était évident que la carrière de Sébastien Tellier allait être brisée, qu'il allait retourner à des activités moins nuisibles.

Mais voilà, surprise, plus les mois passaient, plus le nom de Sébastien Tellier me semblait apparaître dans les médias. Jusqu'au jour où, stupeur, j'appris qu'il devait représenter la France au prochain Eurovision !

Ce choix ne tarda pas à faire scandale. Non que la musique de Sébastien fût nullissime (la nullité étant une condition pour pouvoir participer à l'Eurovision) mais parce que le brillant homme avait, de surcroît, choisi de chanter en anglais.

En tout cas, ce petit déchaînement médiatique tombe à pic ; il me donne l'occasion de défendre l'usage du français dans la chanson ; et plus particulièrement dans le rock'n'roll.


Je lis en ce moment un peu partout des articles ventant notre nouvelle scène «franglaise», cette vague d'artistes qui s'est débarrassée d'un infâme boulet : la langue de Gainsbourg et de Paul Morand.

Ce n'est pas nouveau : le débat sur le rock français non francophone a toujours existé ou, pour être précis, depuis qu'une partie des yéyés a ridiculisé notre langue par ses reprises bas de gamme des standards anglo-saxons. Dès lors, les meilleurs groupes nationaux (derniers en date : les Hushpuppies) ont cherché à se démarquer en adoptant l'anglais, laissant le français aux mauvais, aux groupes de ska festif et à la chanson poético-cérébrale à textes. Bref, un syllogisme semblait être devenu réalité, à savoir : la langue française est la langue des mauvais musiciens, donc chanter en français rend les musiciens médiocres. CQFD.

Mais ce qui me semble nouveau aujourd'hui, c'est cette idée selon laquelle défendre l'usage de notre langue est un combat d'arriéré ou de militant d'extrême droite. Ainsi, lorsque le manageur de Sébastien Tellier affirme qu'il s'agit d'un «débat qui sent le moisi», je suis sincèrement choqué. Car, à mon sens, défendre l'usage du français dans la création artistique n'est pas un combat d'arrière-garde, ni même un gadget : il s'agit d'une chose primordiale.

La première raison est qu' à mes yeux, il est préférable de chanter dans sa langue maternelle. Car l'art ne peut exceller que dans la spontanéité et la sincérité ; dès qu'il s'exprime à travers des intermédiaires (une traduction) ou qu'il prend la forme d'une démarche artificielle (employer une langue qui n'est pas la nôtre), il perd de sons sens. Evidemment, il peut arriver que l'usage d'une autre langue soit justifié :

-Pour les personnes bilingues, tout d'abord, ou qui maîtrisent parfaitement une langue. Dans ces cas, je n'ai aucune objection. Cependant, ces gens sont plutôt rares dans nos contrées.
-Il peut arriver également qu'une langue étrangère sonne mieux que le français. Qui reprochera par exemple à un groupe de bossa nova de chanter en brésilien ou à une interprète de Lieder d'opter pour l'allemand. Toutefois, il ne me semble pas que le français soit particulièrement hideux. Avec l'italien et le brésilien, c'est même la langue qui fait fantasmer la terre entière. Cet argument est donc souvent fallacieux.

-Chanter en anglais permettrait aussi de marcher à l'international. Je n'en suis pas vraiment sûr car le français est vendeur ; on ne se rendra jamais assez compte de l'effet qu'il peut produire sur les oreilles étrangères !

Cependant, la plupart des artistes qui adoptent l'anglais ne fondent pas leur choix sur l'une de ces trois raisons. Ils le font avant tout par lâcheté et par paresse. Je m'explique :

-Par lâcheté car chanter dans une langue qui n'est ni la nôtre ni celle de notre auditoire est une manière de dire les choses sans vraiment les dire ; de ne pas s'engager. Si vous êtes sceptiques, faites l'expérience : écrivez une chanson en français comportant l'expression : «Je t'aime». Je parie tout l'or du monde que vous serez gêné, que vous aurez peur de passer pour un(e) sentimental(e), peur d'exhiber ces paroles devant tout le monde. Maintenant, chantez «I love you» et, là, aucun problème : tout le monde s'en fiche. C'est comme si vous chantiez quelque chose sans vraiment y penser, comme si vous étiez l'interprète sans être l'auteur.

-Par paresse également car chanter en anglais est une solution de facilité pour tous ceux qui (comme moi) écoutent essentiellement des morceaux anglo-saxons. Il suffit en effet de reprendre des phrases types style «I love you girl», «Please baby come back home», «You're the one for me» ... etc. C'est une manière d'écrire rapidement, sans trop réfléchir. Ce n'est pas forcément idiot comme démarche mais il y a quand même quelque chose qui me gêne : on est purement dans l'imitation, le pastiche, dans la simple interprétation d'un rôle. Il n'y a plus rien qui vient du coeur, des tripes ou de l'âme.

L'autre raison pour laquelle je tiens à défendre la chanson en français est ... qu'il s'agit de ma langue, tout simplement ; et même de ma culture au sens large puisque je partage l'idée des romantiques allemands du XIXe selon laquelle ce qui fait un peuple c'est sa culture et ce qui fait sa culture c'est avant tout sa langue. La langue est le fondement du génie d'un peuple, de sa spécificité, de son mode de pensée ou d'expression.

En fait, je ne conçois absolument pas la culture française comme supérieure aux autres. Au contraire, notre scène musicale, notre cinéma ou encore notre architecture sont globalement lamentables. Mais, pourtant, et je n'y peux rien, je ne peux m'empêcher de vouloir défendre cette culture, d'espérer son développement et son amélioration. C'est là un sentiment humain : défendre sa culture d'appartenance, juste parce qu'elle est nôtre. Et d'ailleurs, on ne reprochera pas à un Tibétain de s'efforcer de défendre sa langue et sa culture ; alors pourquoi le reprocherait-on à un Français ?

Ce n'est donc pas par chauvinisme que je tiens ces paroles ; je ne conçois pas la culture française comme une culture impérialiste qui doit s'imposer dans les autres parties du monde. Je n'ai aucune animosité non plus contre les Anglo-saxons qui, contrairement aux refrains rabâchés, ne sont pas la cause du déclin culturel français. Non, les seuls responsables sont les Français qui osent décréter notre spécificité comme arriérée, inutile tout en cherchant à culpabiliser ceux qui s'efforcent de faire de la culture française quelque chose de frais, novateur, moderne, dynamique et grouve.


Pour achever cette longue tribune, j'aimerais vous proposer une compilation maison. Son objet n'est pas de faire croire que notre scène francophone est foisonnante et de grande qualité ; ça n'est absolument pas vrai. Plus modestement, elle tient à montrer que la langue française n'est pas synonyme de fatalité médiocre. Non, certains arrivent à en tirer des choses magnifiques, qu'ils soient Français, Québécois, Écossais, Espagnols, Allemands ou Mexicains.

Tous ces morceaux datent des années 2000, histoire de rappeler au passage que la chanson française de qualité ne s'est pas figée avec Gainsbourg, Dutronc et Brassens. Ni même avec Marie et les Garçons.

Une bonne partie de ces morceaux ont été trouvé sur d'autres blogs. Je ne me souviens plus exactement lesquels mais Filles sourires ou La cancion de Prévert sont d'excellents pourvoyeurs de chanson francophone.
Vous pouvez télécharger l'ensemble de l'album en deux parties ainsi que les deux faces de la pochette (en téléchargeant les images) ou même les chansons une à une. Si avec tout ça je ne vous gâte pas ...

Télécharger l'album en entier (partie 1)
Télécharger l'album en entier (partie 2)

Second sex - Je ne suis pas une fille facile (mp3)
(Myspace)
Les Dadds - Je vais te manquer (mp3)
(Myspace / acheter French kiss à la Fnac / article précédent sur Infrasons)
Les Bof ! - J'ai perdu mon mojo (mp3)
(site / Myspace)
AS Dragon - Sorcière (mp3)
(Myspace / acheter Spanked à la Fnac)
Mathieu Boogaerts - Les Tchèques (mp3)
(site / acheter Dick Annegarn Tribute à la Fnac)
Henri Salvador - Jardin d'hiver (mp3)
(acheter Chambre avec vue sur Amazon / article précédent sur Infrasons)
Mallory Hays - Il pleut toujours (mp3)
(blog / Myspace / article précédent sur Infrasons)
Mareva - L'hôtesse de l'air (mp3)
(site / acheter Ukuyéyé sur Amazon)
Pittoresque - Ce petit coeur (mp3)
(acheter Information y turismo chez Poppolar records)
Kerenn Ann - Au coin du monde (mp3)
(site / acheter La disparition sur Amazon)
Poney express - Une actrice (mp3)
(Myspace / acheter Daisy street à la Fnac)
Camille - Ta douleur (mp3)
(site / acheter Le fil à la Fnac)
Dani et Etienne Daho - Comme un boomerang (mp3)
(acheter The best of boomerang à la Fnac)
Françoiz Breut - Le premier bonheur du jour (mp3)
(site /acheter Une saison volée sur Amazon)
Souvenir - Au bord du soleil (mp3)
(site)
Stereo total - L'amour à trois (mp3)
(site / acheter Musique automatique sur Amazon)
Poney express - Paris de loin
(Myspace / acheter Daisy street à la Fnac)
M et Brigitte Fontaine - Les zazous (mp3)
(achetez Kekeland à la Fnac)
Fabienne Delsol - Laisse tomber les filles (mp3)
(Myspace / acheter No time for sorrows à la Fnac)
Les Terribles - Tout est fini (mp3)
(site / acheter Les Terribles chez Soundflat)
Los Super elegantes - Je suis bien (mp3)
(site)
Les Prototypes - Je ne te connais pas (mp3)
(site / acheter Prototypes sur Amazon)
Alister - Qu'est-ce qu'on va faire de toi (mp3)
(Myspace / acheter Aucun mal ne vous sera fait à la Fnac)
Audrey Maelis - Parle à mon nombril (mp3)
(Myspace)
Les Hommes sauvages - Le matin (mp3)
(site)
Les Terribles - Trop sage (mp3)
(site / acheter Les Terribles chez Soundflat)
Les Wampas - Manu Chao (mp3)
(site / acheter Never trust... à la Fnac)

12 commentaires:

Bazile Leroy a dit…

Présent au concert du Tellier, je peux ajouter quelques détails:
- à l'invective lui reprochant une piètre aisance sur scène, Tellier avait répondu « pédé » à la foule, joignant à sa tirade un doigt d’honneur. Ce manque de classe flagrant avait alors fait redoubler les sifflets et les rires dans la salle.
- Non content de s’être mis le public à dos, Tellier, quelques minutes plus tard, brisait une bouteille de bière sur le crâne de son bassiste, hilare. Pourquoi ?
- Pour ce qui est du son, je me souviens avoir commenté en direct le concert à un ami parti accompagner une copine à l’hôpital (et ratant le concert par la même occasion) : un « mélange informe entre les Bee Jees et Supertramp ».
- Visiblement las de jouer pour un public pour le moins « distrait », Tellier a en effet quitté la scène en grommelant, moins de vingt minutes après avoir commencé son récital. S’inventant un rappel, il revint alors, prit sa guitare et, pour le bien commun un individu lui cria : « repose moi ça tout de suite ! » il s’exécuta…
- A titre de conclusion, Tellier me donne l’impression d’être la nouveauté récurrente : tout les 4 ans, il revient, s’enfuie, s’oublie et revient encore…


mais on reparlera de ce concert... et notamment de celui qui suivit le gars Tellier...

Infrason a dit…

Merci en tout cas pour la photo. Je viens de la rajouter afin de donner une idée de la monstruosité du truc.

Nikki Mod a dit…

Au vu de la photo je me demande si le plus horrible, c'est le son produit par Tellier, ou sa veste à franges facon Steven Seagal dans "Terrain miné". le débat est ouvert...

Unknown a dit…

Bon je passerai sur la première partie du post...
En revanche un grand merci pour la sélection de trucs français, j'ai découvert de bien belles choses.

Anonyme a dit…

Eh bien qu'il me soit permis de vous dire que je suis en désaccord total avec vous tous. Bon, je ne commenterai pas le concert puisque je fais partie de ceux qui découvrent Sébastien Tellier aujourd'hui, à la faveur de sa toute récente médiatisation mais je suis totalement conquise par le personnage autant que par sa musique. Il a fait un mauvais concert devant vous, et alors ? Après tout, bien des artistes ont connu des débuts difficiles sur scène : Prince, dont je suis une fervente admiratrice, s'était fait sortir de scène alors qu'il débutait et assurait la première partie des Rolling Stones ! Il s'était même fait jeter de la nourriture dessus ! On sait pourtant quelle carrière a été la sienne par la suite !
Quant au débat sur l'Eurovision, eh bien désolée mais je le trouve parfaitement ridicule et d'arrière-garde ! Comme je le dis partout, Abba n'avait pas chanté en suédois lors de sa prestation à ce concours, que je sache ! Non seulement ils ont gagné mais eux aussi ont connu une carrière remarquable. Et puis, ce n'est pas Sébastien qui a sélectionné "Divine" pour l'Eurovision. Il a dit que si on lui avait demandé de composer une chanson spécifique en français pour ce concours, il l'aurait fait avec plaisir. Des chansons en français, il en compose et il a même affirmé que celles qui figurent sur son dernier album sont ses préférées donc, il n'a rien contre la chanson française ! Il a même essayé de rajouter quelques paroles en Français à Divine mais il était trop tard : la chanson, déjà déposée, ne pouvait être modifiée. Donc, il est de bonne foi et de bonne volonté ! Quelle tempête dans un verre d'eau ! J'espère de tout mon coeur qu'il va gagner mais si ce n'est pas le cas, toute cette histoire m'aura au moins permis de le connaître. Alors, effectivement, merci d'avoir ajouté une photo à cet article : je vais la conserver, mais pour d'autres raisons !

Kevin du 77 a dit…

OUI OUI OUI pour la partie en français

je suis OK à 100%
c'est bien expliqué et j'apprécie les arguments

il faut défendre la langue française y compris dans le rock

les groupes qui chantent en anglais peuvent très facilement tomber dans le karaoké, et dans "jouer à être un groupe" plus qu'à vivre la musique

je regrette quand même l'absence des shades et des naast ;)
et puis dans les 60s on avait aussi de bon trucs :) (j'en mets de tps en tps sur mon blog héhé)

Infrason a dit…

Mimi,

Ok, admettons que, ce soir-là, Sébastien Tellier était complètement bourré.

Mais pour la barbe et les fringues Buffalo Grill, il y avait clairement préméditation...

Bazile Leroy a dit…

Je ne suis qu'une vilaine fille qui mérite cent fois le fouet !
Je ne suis qu'une vilaine fille qui mérite cent fois le fouet !
Je ne suis qu'une vilaine fille qui mérite cent fois le fouet !
Je ne suis qu'une vilaine fille qui mérite cent fois le fouet !
Je ne suis qu'une vilaine fille qui mérite cent fois le fouet !

Mais non, Mimi , juste comprendre qu'ici, ce n'est pas la peine de parler de Prince et Abba...

Bonjour chez toi !

Nikki Mod a dit…

Un jour, on mettra les fans d'Abba et de Sébastien Tellier ensemble, et on les fusillera (en chantant en allemand ?).

Et ce sera bon.

Infrason a dit…

C'est avec une profonde tristesse que j'apprends que Sébastien Tellier n'a pas gagné l'Eurovision.

Quelle barbe, alors !

Bazile Leroy a dit…

Nous serons là dans 3 ans quand il sera de nouveau la nouvelle révélation de la pop française renouvelée...!

et nous n'aurons pas changé...

Bazile Leroy a dit…
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