Après le Japon, la Chine, l'Indonésie, l'Inde, la Turquie et le Yémen, le Tour du Monde des Garages et des Ménestrels poursuit sa route en Éthiopie, toujours sous la houlette de Nikki Mod, correspondant spécial Afrique / Moyen-Orient pour Infrasons.
C’est un épisode assez peu connu de la Seconde guerre mondiale : en 1942, les troupes fascistes qui occupaient l'Éthiopie furent boutées hors d’Afrique par les régiments coloniaux britanniques. Épisode sanglant d’un conflit bien plus vaste, mais épisode salvateur : sans ces quelques coups de baïonnette judicieusement placés, l’avenir des gens de goût n’eût pas tout à fait été le même.
On y perdit peut-être les bâtiments futuristes art-déco et le goût du capuccino au bord de la mer rouge. Mais voici ce que l’on y gagna : juste après la défaite italienne, les américains firent bâtir dans les plaines arides d'Érythrée, à Kagnew près d'Asmara, une base militaire. Pas tout à fait une base avec des chars et des avions, même si l'on devait bien y trouver des marines en chemisette kaki sirotant à midi du coca-cola sous le blanc soleil d’Afrique. Plutôt une base de transmissions dotée d’une grosse antenne radiophonique, qui diffusa bientôt, par delà les montagnes jadis réputées infranchissables d’Abyssinie, au cœur du mystérieux empire des Négus, les mélopées vicieuses d’Elvis Presley et de Fats Domino.
À Addis-Abeba où le transistor avait fait son apparition, le son venu d’Amérique pénétra profondément le cerveau de la génération urbaine de l’après guerre. Cette jeunesse était fortement imprégnée de valeurs nationalistes et parfois d’un conservatisme politique qui avaient sur le principe peu à envier au discours de leurs anciens envahisseurs. Mais ce trait particulier fut la garantie d’un mélange détonnant entre le nouveau son d’Outre-Atlantique – rythmiques à quatre temps impulsées par basse et batterie – et un héritage vernaculaire fait de chants lancinants en amharique et d’indescriptibles mélodies abyssines souvent agrémentées de cuivres.
Bien que les seuls groupes autorisés à se produire fussent ceux qui en avaient reçu agrément de l’Empereur, l’alchimie diabolique née de leur rivalité féroce rendit fous par milliers les sujets du Négus. Les années 1960, animées par des groupes rattachés à un Hôtel, à la Police ou à la Garde Impériale, furent prolifiques : ce temps béni qui n’était plus celui des colonies reçu le surnom de Swinging Addis.
Pourtant, sur les crêtes des monts du pays Amhara, une ombre se profilait déjà à l’horizon ; une ombre venue du Tigré voisin où les indépendantistes alliés aux Érythréens n’avaient cure des danses enfiévrées et des suaves nuits qui agitaient la Piazza d’Addis. Pour eux, il importait surtout d’avoir la peau du Négus, comme celle des lions qui gardaient jour et nuit son palais.
Politiciens, meneurs de troupes et empereurs ayant en ces contrées des mœurs pour le moins violentes, le renversement d’Hailé Sélassié par le sinistre Mengistu marqua, en 1974 l’aboutissement brutal d’une trajectoire musicale pourtant fort prometteuse. L’interdiction de toute expression musicale (autre que les bruits de bottes) par le nouveau régime mit fin à cette ère dorée. La place étant ici limitée, voici seulement deux des artistes les plus marquants des 60s éthiopiennes, tous disponibles dans l’affolante collection Éthiopiques. Les meilleurs d’entre vous iront découvrir le reste par eux-mêmes…
Alèmayèhu Eshèté
Des trente 45 tours distillés par Alèmayèhu Eshèté, pendant sa fulgurante carrière, il faudrait retenir bien plus que ce que nous pouvons présenter ici. Surnommé l’Elvis abyssin, recruté à 20 ans dans le très en vue Police Orchestra du colonel Dèmèqè, il fut l’une des icones des sixties abyssines.
Le caractère conservateur – travail, famille, patrie - des paroles de ses chansons ne fera pas oublier la puissance funkoïde de leurs rythmes démoniaques. Et pour cause : qui parle l’amharique parmi vous ?
Alèmayèhu Eshèté : Tchero Adari Nègn
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Alèmayèhu Eshèté : Mèkèyèrshin Salwaq
(acheter Éthiopiques, vol.9 : Alèmayèhu Eshèté sur Amazon)
Lemma Demissew
Lemma Demissew était pianiste pour plusieurs des groupes institutionnels évoqués plus haut. Epaulé par d’impeccables sections cuivre, il a produit certains des plus beaux morceaux de cette période, dont «Astawèslehu», qui sonne comme une reprise de la «Danse des canards» venue d’un autre monde, celui là assurément parfait.
Lemma Demissew : Adrashash Tèfabegn
Lemma Demissew : Astawèslehu
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Lemma Demissew : Adrashash Tèfabegn
4 commentaires:
En découvrant la série des Ethiopiques, j'avais lu quelques explications écrites à la hâte, en me jurant d'en savoir un jour un peu plus. C'est chose faite avec ce petit bout d'histoire. Merci ;)
Mais comment tu sais tout ça toi? Je dois le dire, honnêtement, ça m'épate.
Nikki Mod le sait, car il a été voir là bas comment c'était.
(et au passage il emmerde blogger.com)
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