Été 1964, une chaleur torride écrase la Jamaïque. Pour les innombrables groupes de ska qui font danser l'île, c'est une catastrophe. À cours de salive, les lèvres des trompettistes restent collées à leur instrument, tandis que les doigts des guitaristes fondent sur l'acier ou le nickel brûlants des cordes. Rassurez-vous, je vous épargne le sort des malheureux batteurs!
Quand sur les pistes de danse des Sound systems le public s'effondre, vaincu par la fournaise, un mot d'ordre résonne de toute part : "il faut ralentir le rythme". Ce tempo moins rapide donne naissance à un nouveau courant musical : le rocksteady.
Les Heptones sont un des premiers groupes qui triomphent grâce ce mélange de ska et de soul américaine, plaçant "Fattie fattie" en tête des ventes en 1966. Ils sortent cette même année le fabuleux "Gunmen coming to town", une chanson reprenant un thème caractéristique de la musique jamaïcaine, celui des "rude boys" (dits aussi "rudies"), c'est-à-dire les voyous, ceux qui sèment la terreur dans les bidonvilles.
Seulement indépendant depuis 1962, le pays a bien mal négocié ses premières années d'autonomie. Le chômage y est alarmant, les conditions de vie déplorables et insalubres et, pour les innombrables adolescents des bidonvilles, la débrouille et la violence deviennent des issues naturelles. Le rocksteady est étroitement lié à cette pègre qui fournit aussi bien musiciens qu'hommes de main pour déstabiliser la concurrence. Des chansons bourgeonnent de partout pour vanter les exploits des "rudies", des gangs et de leurs flingues.
Au contraire, certains groupes, comme les Heptones, tentent de mettre un holà à cette escalade, dénonçant dans "Gunmen coming to town" les méfaits de voyous munis de pistolets et de crans d'arrêt. Heureusement, la cavalerie (ou plutôt la police jouant l'ouverture de "Guillaume Tell" à la trompette) finit par arriver et par mettre tout ce petit monde sous les verrous. Ouf!
Heptones - Gunmen coming to town
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